Page:Mérimée - Carmen.djvu/75

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son assez semblable à celle de Dorothée, au fond d’une petite ruelle. Elle et une autre bohémienne me lavèrent, me pansèrent mieux que n’eût pu le faire un chirurgien-major, me firent boire je ne sais quoi ; enfin, on me mit sur un matelas, et je m’endormis.

Probablement ces femmes avaient mêlé dans ma boisson quelques-unes de ces drogues assoupissantes dont elles ont le secret, car je ne m’éveillai que fort tard le lendemain. J’avais un grand mal de tête et un peu de fièvre. Il fallut quelque temps pour que le souvenir me revînt de la terrible scène où j’avais pris part la vieille. Après avoir pansé ma plaie, Carmen et son amie, accroupies toutes les deux sur les talons auprès de mon matelas, échangèrent quelques mots en chipe calli, qui paraissaient être une consultation médicale. Puis toutes les deux m’assurèrent que je serais guéri avant peu, mais qu’il fallait quitter Séville le plus tôt possible ; car, si l’on m’y attrapait, j’y serais fusillé sans rémission. — Mon garçon, me dit Carmen, il faut que tu fasses quelque chose ; maintenant que le roi ne te donne plus ni riz ni merluche[1], il faut que tu songes à gagner ta vie. Tu es trop bête pour voler à

  1. Nourriture ordinaire du soldat espagnol.