Page:Mérimée - Carmen.djvu/79

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croire qu’elle s’était véritablement corrigée de ses façons d’autrefois.

Notre troupe, qui se composait de huit ou dix hommes, ne se réunissait guère que dans les moments décisifs, et d’ordinaire nous étions dispersés deux à deux, trois à trois, dans les villes et villages. Chacun de nous prétendait avoir un métier : celui-ci était chaudronnier, celui-là maquignon ; moi, j’étais marchand de merceries, mais je ne me montrais guère dans les gros endroits, à cause de ma mauvaise affaire de Séville. Un jour, ou plutôt une nuit, notre rendez-vous était au bas de Véger. Le Dancaïre et moi nous nous y trouvâmes avant les autres. Il paraissait fort gai. — Nous allons avoir un camarade de plus, me dit-il. Carmen vient de faire un de ses meilleurs tours. Elle vient de faire échapper son rom qui était au presidio à Tarifa. — Je commençais déjà à comprendre le bohémien, que parlaient presque tous mes camarades, et ce mot de rom me causa un saisissement. — Comment ! son mari ! elle est donc mariée ? demandai-je au capitaine.

— Oui, répondit-il, à Garcia le Borgne, un bohémien aussi futé qu’elle. Le pauvre garçon était aux galères. Carmen a si bien embobeliné le chirurgien du