Page:Mérimée - Carmen.djvu/85

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à Gibraltar. — Le borgne dit : — Moi aussi, on m’y connaît, j’y ai fait tant de farces aux Écrevisses[1] ! et comme je n’ai qu’un œil, je suis difficile à déguiser. — Il faut donc que j’y aille ? dis-je à mon tour, enchanté à la seule idée de revoir Carmen ; voyons, que faut-il faire ? — Les autres me dirent : — Fais tant que de t’embarquer ou de passer par Saint-Roc, comme tu aimeras le mieux, et, lorsque tu seras à Gibraltar, demande sur le port où demeure une marchande de chocolat qui s’appelle la Rollona ; quand tu l’auras trouvée, tu sauras d’elle ce qui se passe là-bas. — Il fut convenu que nous partirions tous les trois pour la sierra de Gaucin, que j’y laisserais mes deux compagnons, et que je me rendrais à Gibraltar comme un marchand de fruits. À Ronda, un homme qui était à nous m’avait procuré un passe-port ; à Gaucin, on me donna un âne : je le chargeai d’oranges et de melons, et je me mis en route. Arrivé à Gibraltar, je trouvai qu’on y connaissait bien la Rollona, mais elle était morte ou elle était allée à finibus terræ[2], et sa disparition expliquait, à mon avis, comment nous avions perdu notre moyen de corres-

  1. Nom que le peuple en Espagne donne aux Anglais à cause de la couleur de leur uniforme.
  2. Aux galères, ou bien à tous les diables.