Page:Mérimée - Carmen.djvu/97

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leur manquais de parole ? Je me laissai entraîner, et je repris mon vilain commerce.

Pendant que j’étais caché à Grenade, il y eut des courses de taureaux où Carmen alla. En revenant, elle parla beaucoup d’un picador très-adroit nommé Lucas. Elle savait le nom de son cheval, et combien lui coûtait sa veste brodée. Je n’y fis pas attention. Juanito, le camarade qui m’était resté, me dit, quelques jours après, qu’il avait vu Carmen avec Lucas chez un marchand du Zacatin. Cela commença à m’alarmer. Je demandai à Carmen comment et pourquoi elle avait fait connaissance avec le picador. — C’est un garçon, me dit-elle, avec qui on peut faire une affaire. Rivière qui fait du bruit, a de l’eau ou des cailloux[1]. Il a gagné 1,200 réaux aux courses. De deux choses l’une : ou bien il faut avoir cet argent ; ou bien, comme c’est un bon cavalier et un gaillard de cœur, on peut l’enrôler dans notre bande. Un tel et un tel sont morts, tu as besoin de les remplacer. Prends-le avec toi.

— Je ne veux, répondis-je, ni de son argent, ni de sa personne, et je te défends de lui parler. — Prends garde, me dit-elle ; lorsqu’on me défie de faire une

  1.   Len sos sonsi abela
      Pani o reblendani terela. — (Proverbe bohémien)