Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/41

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beaucoup la poésie, dit-elle. Que je vous envie le bonheur que vous aurez à lire le Dante comme un livre nouveau.

— Vous voyez, miss Nevil, disait Orso, quel pouvoir ont les vers du Dante, pour émouvoir ainsi une petite sauvagesse qui ne sait que son Pater… Mais je me trompe ; je me rappelle que Colomba est du métier. Tout enfant, elle s’escrimait à faire des vers, et mon père m’écrivait qu’elle était la plus grande voceratrice de Pietranera et de deux lieues à la ronde.

Colomba jeta un coup d’œil suppliant à son frère. Miss Nevil avait ouï parler des improvisatrices corses et mourait d’envie d’en entendre une. Aussi elle s’empressa de prier Colomba de lui donner un échantillon de son talent. Orso s’interposa alors, fort contrarié de s’être si bien rappelé les dispositions poétiques de sa sœur. Il eut beau jurer que rien n’était plus plat qu’une ballata corse, protester qu’écouter des vers corses après ceux du Dante, c’était trahir son pays, il ne fit qu’irriter le caprice de miss Nevil, et se vit obligé à la fin de dire à sa sœur : — Eh bien ! improvise quelque chose, mais que cela soit court.

Colomba poussa un soupir, regarda attentivement pendant une minute le tapis de la table, puis les poutres du plafond ; enfin, mettant la main sur ses yeux, comme ces oiseaux qui se rassurent et croient n’être point vus quand ils ne voient point eux-mêmes, chanta, ou plutôt déclama d’une voix mal assurée la serenata qu’on va lire.

LA JEUNE FILLE ET LA PALOMBE.

« Dans la vallée, bien loin derrière les montagnes, — le soleil n’y vient qu’une heure tous les jours ; — il y a dans la vallée une maison sombre, — et l’herbe y croit sur le seuil. — Portes, fenêtres sont toujours fermées. — Nulle fumée ne s’échappe du toit. — Mais à midi, lorsque vient le soleil, — une fenêtre s’ouvre alors, — et l’orpheline s’assied, filant à son rouet : — elle file et chante