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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL.

gens instruits, qui ont été éduqués au collège, cela n’empêche pas qu’ils n’aient d’étranges façons, qui naturellement ne vont guère avec leur état. Tenez, par exemple, vous en avez un, ce gros joufflu… Je ne me rappelle pas son nom… Sitôt qu’il monte en chaire, il ne peut pas s’empêcher de faire la grimace. Il fait comme cela. (Il fait la grimace.) Et puis, il vous met la main dans sa cravate, et le voilà qui se gratte le menton. Qu’il fasse la grimace aux écoliers, passe encore, c’est peut-être nécessaire pour professer, vous le savez mieux que moi ; mais je vous en fais juge, s’il s’en va faire ainsi des mines à l’inspecteur, cela peut tourner mal. M. l’inspecteur général, ou n’importe qui, n’a qu’à croire qu’on veut se moquer de lui, et le diable sait comment il le prendra.

Le Recteur.

Mais qu’y faire ? Mon Dieu, je lui en ai déjà parlé. Il n’y a pas longtemps, quand l’examinateur est venu, il lui a fait une grimace comme jamais je n’en avais encore vue. Je sais bien qu’il n’y met pas de malice, mais on me réprimande : on me dit qu’il ne faut pas inculquer des habitudes d’indépendance à la jeunesse.

Le Gouverneur.

Il faut encore que je vous parle de votre professeur d’histoire. C’est une tête solide, bien farcie, cela se voit. Il a pénétré dans les brouillards de la science, mais dans ses explications il apporte tant de feu, qu’il ne fait plus attention à rien. Une fois je fus l’entendre. Il nous parla des Assyriens et des Babyloniens… Passe. Mais voilà-t-il pas qu’il en vient à Alexandre de Macédoine, et alors je ne puis vous dire tout ce qu’il a fait. J’ai cru que le feu était à son estrade. Il se démenait, il sortait de sa chaire, il vous travaillait son fauteuil. Je sais bien qu’Alexandre de Macédoine est un héros, mais ce n’est pas une raison pour casser les