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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL.

Le Gouverneur, à part.

Oui, oui, conte-nous cela. Tu ne savais comment payer ! (Haut.) Oserais-je vous demander de quel côté votre voyage se dirige ?

Khlestakof.

Je vais dans le gouvernement de Saratof, dans ma terre.

Le Gouverneur, à part, ironiquement.

Il a un fameux front ! Il faut jouer serré avec lui. (Haut.) C’est une chose bien intéressante que les voyages, les particularités de la route… d’un côté, les contrariétés qui résultent des chevaux en retard, d’un autre côté… c’est une grande dissipation pour l’esprit. Monsieur voyage sans doute pour son agrément ?

Khlestakof.

Non, c’est papa qui me demande. Il se vexe, papa, parce que, jusqu’à présent, je n’ai pas eu d’avancement à Pétersbourg. Il s’imagine comme cela que, dès qu’on est arrivé, on va vous mettre la croix de Saint-Vladimir à la boutonnière. Ma foi, qu’il aille lui-même faire sa cour à la Chancellerie.

Le Gouverneur, à part.

En voilà de sévères ; et ce papa qu’il nous coule en douceur… (Haut.) Est-ce pour longtemps que vous vous proposez de vous absenter ?

Khlestakof.

Mon Dieu ! je ne sais pas. Mon père… mon père est bête, entêté comme une mule, un vieux roquentin dur comme du bois. Je lui dirai tout bonnement : faites ce que vous voudrez, je ne puis pas vivre hors de Pétersbourg. Pourquoi donc serais-je condamné à passer ma vie avec des paysans… ? Cessez d’exiger cela de moi ; mon âme a soif de civilisation.

Le Gouverneur, à part.

Comme il défile son chapelet, et sans se couper. Il se