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MONSIEUR AUGUSTE

tout le monde. Vous semez de la graine d’ingrats partout.

— Allons ! tais-toi, Agnès, voici le docteur.

Le docteur entra, rayonnant de joie, serra la main de M. Lebreton, s’assit, et donna les meilleures nouvelles de la santé de Louise. Agnès écoutait et regardait le docteur en ouvrant ses beaux yeux noirs, qui lançaient des flammes. Le docteur avait cette faculté visuelle qui permet de voir l’expression d’un visage voisin, comme si le pouvoir de l’œil s’étendait jusqu’à l’oreille, faculté que la belle Agnès avait aussi, comme beaucoup de femmes, et qu’elle avait remarquée chez le docteur. Aussi, depuis le matin, elle se livrait à la contemplation extatique, quand le docteur ne la regardait pas dans la ligne visuelle directe, et elle changeait subitement sa physionomie admirative en indifférence, lorsque le docteur la regardait en face. Il y avait dans cette métamorphose et cette mobilité de visage un naturel si parfait, une décomposition si subite, que le docteur n’aurait pu soupçonner la moindre idée de ruse, le moindre plan organisé contre sa personne. Aussi, vers le milieu du repas, le docteur, qu’emportait toujours la manie de la citation, se crut obligé de se citer à lui-même, mentalement, ce vers de sa tragédie favorite :