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On demande donc,

1°. Si les enfans qui ont été baptisés aussitôt après leur naissance, conservent communément l’innocence de leur baptême, lorsqu’ils ont atteint l’âge de raison.

2°. S’il est ordinaire qu’un adulte qui a été justifié, perde peu après cette grâce par le péché mortel ; qu’après cela il la recouvre par la Pénitence, pour la perdre de nouveau, & puis la recouvrer, par une alternative de rechûtes dans le péché, & de retours vers Dieu. Qu’on puisse la perdre, & ensuite la recouvrer : qu’il arrive quelquefois qu’un juste tombe dans le péché mortel, & qu’ensuite il retrouve la vie dans le Sacrement de Pénitence ; ce sont des vérités de foi, sur lesquelles tous les Catholiques sont d’accord. Mais la justice est-elle, selon le cours ordinaire de la grâce, un état passager, & sujet à de fréquentes révolutions ? C’est le point de la difficulté, qu’il ne faut pas perdre de vue.

I. De la stabilité de la Justice dans les enfans.

On ne peut, ce me semble, rien dire de meilleur sur ce sujet, que ce qu’en a dit M. Nicole dans les réflexions sur l’Evangile du premier Jeudi de Carême.

I. « Il est certain, dit cet Auteur, que selon l’ordre & la coutume de Baptiser les enfans peu de temps après leur naissance, établie depuis long-temps dans l’Eglise par de très-justes raisons, on ne peut douter que les enfans n’aient été tous justifiés, & qu’ils ne demeurent dans l’innocence tant qu’ils n’ont pas encore l’usage de raison.... Mais après qu’ils sont venus à user de leur liberté, rien n’est plus incertain ni plus difficile à décider, que de sçavoir s’ils ont conservé ou non la grâce de leur Baptême.

Je ne me fonde point ici sur le sentiment de plusieurs Docteurs très-considérables (S. Thomas & d’autres), qui n’ont pas craint d’enseigner que les enfans commettent un péché mortel , lorsque dans le premier usage qu’ils font de leur liberté, ils ne prennent pas Dieu pour leur dernière fin. Mais ce que je dis est que, sans s’arrêter à cet instant précis, qui reçoit de grandes difficultés, on ne peut nier au moins que, dans une certaine étendue de temps, un enfant jouissant de sa raison ne soit obligé d’aimer Dieu sur toutes choses, de vivre pour lui, & de lui rapporter sa vie & ses actions. Il faut que l’amour de Dieu domine en lui ; & pour y dominer, il faut qu’il soit le principe du corps de ses actions. Or quelle marque voit-on de cette disposition dans la plupart des enfans depuis l’âge de neuf ou dix ans jusqu’à quinze ou seize ? Que remarque-t-on dans ceux même que Dieu préserve des actions criminelles, qu’une vie toute conduite par les sens, qu’un desir d’exceller, une curiosité inquiéte, un oubli de Dieu, une froideur pour la prière, & pour les livres & les exercices de piété ? De quelle manière reçoivent-ils les Sacremens ? Et enfin quelle marque donnent-ils que ce soit l’esprit de Dieu qui les faste agir ? Est-ce dit l’Apôtre, que ceux-là sont enfans de Dieu ; qui agissent par l’Esprit de Dieu ; & que celui qui n’a point l’Esprit de Jésus-Christ n’est point à lui, ne les regarde pas ? Rom. 8. 14. v.9

En vérité, si Dieu conserve sa grâce dans quelques-uns parmi une infinité de défauts qu’on y remarque, & que l’on tolère ; il est bien à craindre que la plûpart ne la perdent par l’omission des devoirs essentiels de la créature envers son Dieu, comme de l’aimer, de l’adorer, de le prier, de faire pénitence ; & que l’indévotion & le libertinage qui succède souvent à l’état de l’enfance, ne naisse de l’extinction de la grâce en eux dans les temps où on les regardait comme innocents. Bien des gens regretent de n’être pas morts dans cet âge ; mais je ne sçai si ce souhait est bien raisonnable, dans quelque exemption de crimes grossiers que l’on puisse l’avoir passé. Car si l’on en juge selon la foi, il n’y a personne qui ne soit obligé de le regarder comme un temps de ténèbres très-épaisses, & qui ne doive dire à Dieu, avec un esprit de componction sincère : (Ps. 24. 7.) Seigneur, ne vous souvenez