Le Père nous avait prévenu des difficultés qu’on nous y ferait pour tous les imprimés ; aussi nous offre-t-il charitablement de cacher chez lui nos livres ; nous ne laissons dans nos malles que quelques livres de prière en chaldéen et de vieux journaux français.
Voici toute la douane en émoi ! Les livres chaldéens peuvent bien passer sur la parole du Père, garantissant leur parfaite innocence : mais pour les journaux, impossible ! Nous avons beau expliquer sous les allégories les plus transparentes les mille usages auxquels ces papiers peuvent servir en voyage, la chose est trop grave. Il faut les envoyer à Bachekaleh où ils seront examinés par un fonctionnaire qui sait le français. Puis, avec ces journaux se trouvait une lettre égarée, autre grave sujet d’inquiétude ! Hyvernat, entendant parler de la lettre, la prend tranquillement et la déchire ; désespoir du chef de douane ! « Comment, vous déchirez cette lettre, et j’en ai déjà parlé dans mon rapport…. N’en auriez-vous peut-être pas une autre ? » À cette demande naïve, Hyvernat d’en tirer gravement une de sa poche : « Päkei, päkei, très bien, très bien », s’écrie le chef de douane absolument ravi ; il peut remplacer sa lettre déchirée ; tout est bien et il ne songe pas à pousser plus loin la recherche de documents pourtant si compromettants !
La visite de la douane était officiellement terminée ; mais le tout s’était fait sans bakschich et il fallait encore traiter incidemment cette question. Kascha-Guiverghis s’y emploie pour nous ; mais toutes ces allées et venues, toutes ces visites où l’on traite le sujet après trois quarts d’heure de banalités nous avaient pris jusqu’à trois heures du soir. Enfin, à 3 heures nous nous mettons en marche accompagnés de deux zabtiés.
Pendant une heure et demie le Néhil-Tchaï,[1] dont nous suivons les bords, est une rivière aux allures tranquilles ; à un endroit même il forme une lagune très profonde entourée de roseaux et peuplée de sarcelles. Mais bientôt la rivière s’engage dans des défilés extrêmement étroits et escarpés. Pour franchir
- ↑ J’ignore la signification du mot.