Page:Müller-Simonis - Du Caucase au Golfe Persique.pdf/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
CHAPITRE XIV

Toute la vie de Van est concentrée dans son bazar dont le plan est des plus irréguliers ; ici de misérables échoppes en plein vent bordent les ruelles ; ailleurs un khân sert de centre à toute une ramification d’avenues couvertes ; c’est le quartier aristocratique du bazar. Le marchand aisé venu chaque matin de sa demeure des jardins va remiser sa monture dans les écuries du khân, avant de s’installer à son magasin. Dans ces avenues, aucune devanture n’est fermée : tout ouvre directement sur la rue. La foule, les jours de pluie surtout, y est compacte.

Nous allions souvent y flâner et nous asseoir sur les banquettes qui bordent les magasins. Nous devenions immédiatement le centre d’un groupe ; les premiers à accourir étaient les gamins — ils ont ici la spécialité des vieilles monnaies — après eux quelque marchand venait nous inviter à visiter son fond « où nous ne manquerions pas de trouver mille objets à notre convenance ». N’ayant rien de mieux à faire, nous suivions généralement le solliciteur ; c’était un bien malhabile homme, si après une heure de causerie et de discussion il ne parvenait pas à alléger traîtreusement notre bourse en faveur de sa caisse ! Mais aussi, comme on achète avec plaisir quand dans la nonchalance du far-niente on voit fabriquer de toutes pièces sous ses yeux de charmants ouvrages de niellure ; ou qu’étalant devant vous un superbe manteau de beg kurde, le fripier arménien vous raconte tout au long les tribulations du chef prodigue, qui ayant fait passer le plus clair de son argent en broderies, est obligé de liquider une à une toutes ses nippes ! Ce superbe manteau — est-il besoin de le dire, n’a pas tardé à venir grossir mon bagage.

Mais notre centre était à la boutique de l’illustre Kapamadjan. Arménien, c’est tout dire, Kapamadjan est passé maître en affaires. Il a des correspondants dans tous les pays avec lesquels Van trafique, à Bitlis, à Erzeroum, en Perse ou à Constantinople. Son grand magasin est à lui seul un bazar ; aussi y faisons-nous de longues stations. Banquier, Kapamadjan nous escomptait avec