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CHAPITRE XX

Il est impossible de marcher ; car, avec le faible tirant d’eau du kellek et la grande surface que notre maison offre au vent, la tourmente nous empêcherait d’avancer. De plus, le kellek ne gouverne pas ; les rames ne servent qu’à le maintenir dans le bon courant ; elles ne pourraient pas contrebalancer l’action du vent s’il nous portait contre des écueils. Il faut rester en panne, pénétrés par une humidité froide. Tous les vêtements d’hiver les plus extravagants, qui ne nous avaient jamais servi sur les bords du lac de Van, sont tirés des malles et nous protègent à peine.

Nos hommes, transis de froid, ont perdu toute énergie. La neige, devenue pluie, commence à percer les feutres. Il suffirait pour nous préserver du déluge de coudre ensemble nos deux grands prélarts imperméables et de les étendre sur notre maison. Mais, quand nous voulons nous mettre à l’œuvre, impossible de faire bouger nos hommes ! Nous avons beau leur expliquer l’utilité de la précaution que nous voulons prendre : ils sont aussi fatalistes que le plus enragé Musulman. Il est écrit que nous serons mouillés, pourquoi essayer de lutter ! Nous sommes donc, Hyvernat et moi, sous une neige fondante qui nous gèle les doigts, réduits à coudre nous-mêmes les prélarts et à les jeter tant bien que mal sur notre maison ; mais le vent menace de les emporter ; il faut les assujettir aux parois de feutre — la besogne est dure pour des novices et nous nous y mettons les doigts en sang ; mais du moins serons-nous préservés de la pluie.

Un pauvre Kurde, tremblant la fièvre, vient d’un village voisin nous trouver par ce temps horrible ; il souffre affreusement — probablement d’une maladie de la moelle épinière. Il a vu Sahto ; celui-ci lui a conté comme quoi nous l’avions merveilleusement guéri d’un mal analogue — il avait eu une courbature dont un sinapisme avait triomphé ! Et, sur cette parole, le pauvre malade se traîne jusqu’ici, plein de confiance en sa guérison ! Nous sommes obligés de faire honneur à notre réputation de médecins : se déclarer incompétent, serait aux yeux des Kurdes faire acte de mauvais vouloir et les froisser profondément ; aussi décou-