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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

C’était une de ses manies d’orner la servante d’un nom masculin qu’il variait, selon son humeur et la couleur de ses cravates.

Quand il eut absorbé son grog, il bourra sa pipe, l’alluma et frissonna d’aise.

― J’ai été pris par la pluie, entre Belon et Ker-Goez. Vous pensez si j’ai fait vite pour revenir. Sale nuit. On n’y voit pas à un mètre. J’ai exploré toutes les fondrières de la route et j’ai constaté la profondeur de tous les fossés… Tu peux aller te coucher, ma belle, dit-il en regardant Adrienne, ça t’ira aussi bien que de rester là à te balancer comme un fanal au bout d’une corde.

― Ah ! glapit la vieille dame, et la lanterne qui est restée dehors, Adrienne !

La servante, ayant réparé cet oubli, revint dans la grande salle. Mme Plœdac tricotait. Krühl baillait, les joues enfoncées dans le col de son chandail.

― Pointe est-il venu ? demanda-t-il entre deux bâillements.

― Nous ne l’avons pas vu aujourd’hui.

― Évidemment, cette vache-là a dû rester à Pont-Aven. Je le vois très bien avec une cuite dans le creux de l’estomac. Le douanier n’est pas venu non plus ? Non… Et toi, Bilitis, tu ne sais pas jouer aux cartes, naturellement.

La servante se mit à rire.

― Comment, qu’vous avez dit, monsieur Krühl, Bili… ?