Page:Mac Orlan - Le Chant de l’équipage.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

On voyait un soldat d’infanterie croisant la baïonnette ; une date : 27 juillet 1914, puis des signatures et des numéros de régiment.

Krühl resta quelques minutes en contemplation devant l’esquisse et les inscriptions qu’il connaissait cependant par cœur.

― C’est un panneau qui vaudra la peine d’être retrouvé dans cinquante ans, pensa-t-il à voix haute. Il n’en faut pas plus pour imaginer une petite histoire qui ne manquera pas d’émotion.

En sifflant il prit sa canne et se dirigea vers la Côte.

La mer était déserte.

La grande silhouette de Krühl animait seule le paysage. Dominant le roulement familier du flot montant, des mouettes invisibles piaillaient.

À grandes enjambées, les mains croisées derrière le dos, Krühl contourna le sémaphore et prit la lande.

Il rencontra des petites filles en coiffes, habillées comme des femmes. Elles chantaient. Quand elles eurent aperçu Krühl, elles cessèrent de chanter et passèrent silencieusement à côté de lui, l’une derrière l’autre.

Le paysage autour de Krühl se dessinait en grandes lignes simples, sous un ciel de nacre, infiniment délicat. Deux traits souples, comme tracés par le pinceau élégant d’un artiste japonais, indiquaient les collines jumelles qui bor-