Page:Mac Orlan - Le Chant de l’équipage.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

II

LE HOLLANDAIS


M. Joseph Krühl avait dépassé la cinquantaine et, comme nous l’avons dit, c’était un homme d’une force rare. Né à Sluis, petite ville de Hollande, il vivait en France depuis l’âge de dix ans et la déclaration de guerre de l’Allemagne l’avait laissé indécis et désolé dans le petit port breton où il habitait, depuis plusieurs années, l’hôtel de Mme Plœdac.

Il était venu par hasard dans ce coin perdu de la Bretagne pour passer un mois au bord de la mer. Il n’était jamais reparti, se complaisant au milieu de cette nature qui flattait sa misanthropie.

Très riche, Joseph Krühl ne vivait que des minutes imaginaires et plus spécialement le passé. Il semblait ignorer le temps présent et s’intéressait peu à l’avenir.

Pour tous ceux qui l’approchaient, il apparaissait comme un homme d’exception, une sorte de misanthrope bienveillant, d’une érudition curieuse et d’une sensibilité souvent maladive.