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LA LANDE ET MARIE DU FAOUËT

Ne pourrait-on pas balancer dans la flotte tous ces mendigots qui encombrent les routes ?

Il hâta encore le pas. Mais il marchait un peu voûté, les épaules serrées par un commencement d’inquiétude vague dont il ne voulait pas rendre la mendiante responsable. Le paysage se prêtait aux circonstances. Bien qu’il fît grand jour, la lande bosselée et déserte, sans horizon lointain, où la route tortueuse s’enfonçait avec des coudes brusques et trop fréquents, distillait, comme une fleur vénéneuse distille un poison hypocrite, le malaise spécial des grandes solitudes.

L’imagination positive d’Eliasar s’arrêtait net devant la légende. Il subissait la magie d’un paysage dont les proportions tendaient à cet effet et l’apparition de la mendiante le gênait, parce qu’il avait eu devant lui un déchet d’humanité dont le pittoresque s’accordait étroitement avec le caractère d’un pays qui semblait le soumettre à sa fantaisie.

Autour de lui, les mamelons couverts d’ajoncs semblaient se chevaucher comme des vagues quand le flot monte. Imperceptiblement il sentait que tous les détails de la lande se déplaçaient dans sa direction et que les lignes principales du paysage l’enveloppaient de plus en plus étroitement.

Son cœur battit plus fort, et comme il étouffait, il ouvrit le col de son chandail.

― Il me semble que je suis perdu ! dit-il tout haut.