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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

l’événement, toujours dans les mêmes termes, il fermait les yeux pour échapper à la tentation de l’étrangler comme un canari.

― Ah, que j’dis à monsieur Krühl, pérorait Boutron, v’là un particulier qu’est certainement acrobate de son métier, sûr qu’il doit gagner de l’argent avec ses exercices pour faire rire le monde…

Et tout le monde, Mme Plœdac, Adrienne, le douanier, la petite Marie-Anne, le fils Palourde et la vieille Adélaïde ne manquaient jamais de flatter le conteur en exagérant chaque fois des éclats de rire qui ratatinaient les doigts de pied d’Eliasar dans ses larges souliers de chasse.

D’autant plus que Bébé-Salé excellait à mimer la scène en s’accrochant le pied à un bouton de porte et en poussant des cris de souris, qui rendaient les femmes présentes malades de plaisir.

Samuel Eliasar donna à cette époque la mesure de sa volonté en opposant un visage saturé de reconnaissance à tous ces propos.

― Va toujours, mon cochon, pensait-il, quand Krühl, débordant d’amitié, évoquait dans un langage coloré la noyade de Belon. Va toujours, tu paieras les frais de la comédie.

Dès le jour où sa haine fut nettement définie, elle servit de base à Eliasar pour les opérations futures qu’il se promettait de conduire sans faiblesse.