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UNE LUEUR

pas un pirate réincarné dans la peau d’un oisif galetteux.

« J’ai vu avec une telle précision un partage de prise à bord de la Perle, quand je naviguais avec Edward England, que je me demande si mon rêve n’a pas été autrefois une réalité.

« Ça devait être au large de Madagascar. Je le présume, d’ailleurs, sans aucune raison.

« Mais les détails de ce rêve, rêvé les yeux grands ouverts, en plein midi, avec mon chat Rackam sur les genoux, sont gravés ici en traits mordus par l’eau forte.

« Le tillac de la Perle était encombré d’objets hétéroclites. Une impression de foire à la ferraille ou de marché aux puces.

« Tout le monde parlait, discutait. Un mulâtre s’expliquait avec volubilité, découvrant ses dents très blanches, montrant ses doigts réunis en faisceau dans un geste assez délicat qui devait préciser ses pensées. Des hommes coiffés du bonnet noir et qui portaient des barbes de huit jours, s’allongeaient de grandes tapes entre les deux épaules.

« Le parfum enivrant venu de l’île nous prenait aux narines et à la gorge. La brise sentait le poivre et les roses. Sur le navire, une perverse odeur de poudre permanait autour des prélarts qui recouvraient les canons noircis. England rayonnant, appuyé contre le grand mât dont la voile basse fléchissait et se dégonflait sous la