Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/126

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état et la proximité de sa fin. Elle ne s’illusionnait point cependant. Elle sentait venir la mort ; elle me le dit, et son pressentiment se réalisa le lendemain matin.

L’agonie fut lente et cruelle : d’une cruauté minutieuse, froide, insistante, qui me remplit de douleur et de stupéfaction. C’était la première fois que je voyais mourir quelqu’un. Je connaissais la mort par ouï-dire ; c’est tout au plus s’il m’était arrivé de la voir pétrifiée sur la face d’un cadavre que j’allais accompagner jusqu’au cimetière. La notion que j’en avais se trouvait confondue parmi des amplifications de rhétorique que m’avaient inculquées des professeurs de choses antiques : la mort traîtresse de César, austère de Socrate, orgueilleuse de Caton. Mais ce duel de l’être et du non-être, la mort en action, douloureuse, convulsée, sans appareil politique ou philosophique, la mort d’une personne aimée, c’était la première fois que j’y assistais. Je ne pleurai point ; je me rappelle fort bien que je ne pleurai point durant toute cette scène. J’avais la gorge sèche, la conscience béante, et mes regards demeuraient stupides. Eh quoi ! une créature si docile, si tendre, si sainte, qui