Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/47

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passer, rapides et turbulents, les générations qui se superposaient aux générations, les unes tristes comme la captivité d’Israël, les autres gaies comme les extravagances de Commode, et toutes s’engouffrant ponctuellement dans le sépulcre. Je voulais fuir, mais une force inconnue alourdissait mes pieds. Alors je me dis en moi-même : « Bon ! laissons passer les siècles ; le mien aura son tour et tous après lui, jusqu’au dernier, qui me donnera le mot de l’énigme de l’éternité. » Et je regardai, et je continuai à voir les âges qui survenaient et passaient, et je me sentais résolu et tranquille, peut-être même satisfait. Oui, peut-être bien, satisfait. Chaque siècle apportait sa part d’ombre et de lumière, d’apathie et de combativité, d’erreur et de vérité, son cortège de systèmes d’idées neuves, de nouvelles illusions. En chacun d’eux un printemps reverdissait, une automne jaunissait, suivi d’un autre renouveau. L’histoire et la civilisation se tissaient ainsi avec cette régularité de calendrier, et l’homme, d’abord nu et désarmé, s’armait et se vêtait, construisait sa cabane et son palais, la sauvage bourgade ou la Thèbes aux cent portes, créait la science qui