Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/86

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mer que l’âne fut digne du cheval, un véritable âne de Sancho, philosophe en vérité, qui me conduisit à bon port à la fin du laps de temps déjà connu. Je descendis, caressai la croupe de l’animal, et l’envoyai paître.

Ô premières émotions de ma jeunesse, comme vous étiez suaves en vérité !… Telle, dans la création biblique, dut être l’effet du premier rayon de soleil, lorsqu’il éclaira la face du monde en fleur. Oui, ce fut ainsi pour moi, et pour toi aussi, ami lecteur ; s’il y eut dans ta vie une dix-huitième année, tu concorderas qu’il en fut ainsi.

Notre passion, union, ou tout ce que l’on voudra, le nom importe peu, eut deux phases : la phase consulaire et la phase impériale. La première fut courte, et jamais Xavier ne soupçonna qu’il partageait avec moi le gouvernement de Rome. Le jour pourtant où la crédulité ne put plus tenir devant l’évidence, il déposa les insignes, et je concentrai tous les pouvoirs dans mes mains. Ce fut la phase césarienne. L’univers m’appartint ; mais Dieu sait ce qu’il m’en coûta. Il me fallut trouver de l’argent et en inventer. J’exploitai d’abord la générosité de mon père, qui