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LVIII INTRODUCTION


personne : c’est avec Guillaume lui-même que s’entretient le Dieu d’Amours, et ce sont les questions du poète qui provoquent les explications du dieu. Ce n’est pas là précisément une innovation de Machaut ; déjà d’autres poètes avant lui s’étaient ainsi mis eux-mêmes en avant en des œuvres qui gravitaient également dans l’orbite du Roman de la Rose. Mais le fait mérite d’être (signalé, parce qu’il répond à cette tendance si particulière de notre poète de s’attribuer à lui-même un rôle, et le plus souvent le rôle principal, dans ses poèmes. Le but que Machaut poursuivait ainsi était de donner à ses fictions poétiques une plus grande apparence de réalité. C’est le même souci qui l’incite à émailler ses poèmes de traits empruntés à la vie réelle, de petits détails propres à donner à ses inventions le caractère de quelque chose de vrai, de vécu. Le Dit dou Vergier nous en offre un exemple dans la façon dont Machaut raconte son réveil après sa conversation avec le Dieu d’Amours. Celui-ci, qui, pendant la conversation avec le poète, était perché sur un arbrisseau, disparaît finalement, en s’élançant dans les airs. Le mouvement est assez violent pour ébranler tout l’arbre, si bien que la rosée en tombe sur le visage du dormeur et le tire de son rêve, du « transissement « où il avait été si longtemps. Il est tout étonné de ne plus rien trouver de ce qu’il avait vu et entendu ; heureusement, il lui reste les leçons et les exhortations du dieu. Qu’on compare ce réveil de Machaut au brusque dénouement que Jean de Meun donne au Roman de la Rose, et l’on verra sans peine qu’ici notre auteur est supérieur à son modèle. L’étude des œuvres suivantes prouvera que ce mélange de fantaisie et de réalisme, comme on le rencontre ici déjà, est l’un des traits caractéristiques du génie poé-