n’essaie pas de nous faire prendre le change : à diverses reprises, il se nomme en toutes lettres dans le corps même de la pièce, contre son habitude qui est de ne » donner son nom que par anagramme. Pourquoi ici cette exception ? Il faut encore l’expliquer par le rapport qui relie ce poème au Jugement dou Roy de Behaingne. Le jugement attribué au roi Jean, mais qui en réalité était de Machaut lui-même, a dû se heurter à des critiques violentes et nombreuses, surtout de la part des dames ; le poète, dans sa pièce même, nous l’a bien fait entrevoir[1]. C’est pour leur plaire et se concilier de nouveau leurs bonnes grâces qu’il a composé ce nouveau poème, où, tout en ayant l’air de défendre son premier jugement, il finit par se prononcer dans le sens exactement contraire[2]. Or, afin de faire savoir nettement à tout le monde que c’est lui, Guillaume, qui se soumet ainsi au bon plaisir des dames, il importait d’éviter toute équivoque : un anagramme aurait pu laisser subsister des doutes ; force lui était donc de se nommer clairement, comme il l’a fait.
C’est un portrait bien vivant et finement nuancé que Guillaume donne ici de lui-même, se montrant d’abord soucieux des maux dont est frappée l’humanité autour de lui et inquiet pour sa propre vie au milieu des ravages
- ↑ Cela ressort clairement du vers 811 : « Vers les dames estes forfais ». On a vu que plus tard Martin Le Franc proteste également contre la décision de Machaut. Un siècle après Guillaume, la Belle dame sans merci d’Alain Chartier eut absolument le même sort.
- ↑ Ce n’est pas là un fait isolé à cette époque : avant Machaut, Nicole Bozon écrit De la bonté des femmes, pour atténuer son Char d’orgueil ; et plus tard, Jean Le Fevre, après avoir traduit en vers français les Lamentations de Matheolus, réfute point pour point cet ouvrage danç un nouveau poème, le Livre de Leesce.