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RÈGLEMENT
pour
UNE SOCIÉTÉ DE PLAISIR ![1]





Une société d’hommes et de dames s’étant réunie en diverses occasions pour se divertir, très souvent on y a fait des choses amusantes, et très souvent des choses désagréables, mais sans pouvoir jusqu’ici trouver le moyen de rendre les premières plus amusantes et les secondes moins désagréables : on a imaginé des plaisanteries, qui n’ont point eu leur effet, par la négligence de celui qui les avait imaginées ; en conséquence, quelqu’un qui ne manque pas de cervelle, et qui possède une certaine expérience des hommes et des femmes, a cru convenable d’ordonner, c’est-à-dire de régler cette société de manière que chacun puisse inventer et exécuter ensuite ce qu’il croira pouvoir faire plaisir, soit aux dames, soit aux hommes, soit aux uns et aux autres en général. En conséquence, il est arrêté que ladite compagnie est

  1. On a voulu voir dans le Règlement pour une société de plaisir un petit ouvrage composé dans un accès de gaieté bouffonne. En jugeant ainsi, on s’est, nous le croyons, étrangement trompé. Ce qu’on a pris pour de la bouffonnerie n’est qu’une satire très amère des mœurs et des ridicules de la société italienne du seizième siècle, et, dans cette satire, on trouve bien des traits qui peuvent s’appliquer aux sociétés de tous les âges. L’alliance si fréquente de la galanterie et de la dévotion, l’indiscrétion, la médisance, la fatuité, l’égoïsme, tous les vices de ce qu’on appelle bien souvent à tort la bonne compagnie, y sont vivement fustigées. On y sent à chaque ligne cette verve cynique et railleuse dont Aristophane est dans l’antiquité le plus parfait modèle, cette verve qui se perpétue à travers le moyen âge dans la littérature par Boccace et les trouvères, dans les fêtes de la vie civile les enfants de l’abbé Maugouverne, par les sujets du Prince des Sots et de la Mère sotte, verve douloureuse et poignante dans sa gaieté même, qui inspirera Candide au dix-huitième siècle, après avoir inspiré au seizième la Mandragore et Gargantua.