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F. DUPIN DE SAINT-ANDRÉ

avoir des anicroches, le télégraphe n’allant pas partout.

— Maman et moi nous pourrons retourner chez Mme Noël et chez Mme Fouré… Armandine sera désolée, mais la petite Juliette sera ravie… »

Et Marie raconta les deux visites, et ajouta :

« Je voudrais tant que l’on fit partir Angèle ; elle a si grande envie d’aller à la montagne.

— Ce ne sera qu’un petit retard », dit Mme de Clermont distraitement. Elle cherchait un moyen de ne pas remettre le départ, mais ne trouvait aucune combinaison et n’entendait qu’à moitié ce qu’on lui disait.

« Il faut que je rédige mes dépêches au plus vite ; ce ne sera pas commode.

— Maman me permet de rester ce matin, dit Marie.

— À merveille, mon enfant, je vais vous donner à copier quelques lettres pour la ville… on ne peut pas penser à courir chez tout le monde. »

La fillette se mit au travail avec zèle.

Tout à coup sa vieille amie l’interrompit ; comme il arrive quelquefois, une idée à moitié perçue lui revenait à l’esprit.

« Je n’ai pas compris ce que vous m’avez dit de Juliette Fouré… Pourquoi sera-t-elle contente ?

— Parce qu’elle était désolée de partir. Elle ne voudrait pas quitter sa maman. À tout ce que je lui racontais, elle répondait : « J’aime mieux maman. » Et moi, je pensais : « C’est dommage que les mères ne puissent pas accompagner les enfants ! »

— Eh ! chère petite ! s’écria Mme de Clermont en posant sa plume, quelle excellente idée vous me donnez-là ! Mme Fouré est la femme qu’il nous faut pour demain. Son mari était employé au chemin de fer, elle a voyagé de tous côtés ; elle est intelligente, consciencieuse… Si elle voulait passer quelques jours du côté de Boussenac, à aller de droite et de gauche, inspecter tout notre monde, ce serait parfait. Nous lui donnerons une bonne indemnité qui lui vaudra mieux que ses casquettes à border…

— Il y a donc encore de l’argent ? demanda Marie qui ne perdait pas de vue son idée.

— Heureusement ! il nous en faut pour notre convoi de garçons dans quelques jours.

— Est-ce qu’on ne pourrait pas envoyer une petite fille de plus, demain ? Cette pauvre Angèle Noël qui aurait tellement besoin d’aller à la montagne et qui est si pâle et si frêle !

— Angèle Noël !… elle est sur la liste…

— Mais non, madame, c’est Armandine, la grande de dix ans. Angèle est toute petite, cinq ans tout au plus, et elle est si gentille ! Elle a tant pleuré ! c’était pitoyable… Et papa m’a dit que si cinquante francs pouvaient aider à la faire partir, il les donnerait volontiers…

— Cinquante francs ! il y en aurait pour deux. Qu’est-ce qu’il se figure donc, votre cher père ? Est-ce qu’il croit que nous les mettons en premières, nos mioches, et qu’on les nourrit d’ortolans et de dindes truffées ? À cinquante centimes par jour, pour quarante jours, comptez ce que cela fait.

— Alors, madame, on la prendra ! Que je suis contente ! »

Mme Larivière, qui survint à ce moment, voyant sa fille toute rose d’émotion, les yeux brillants, les lèvres souriantes, se dit que Mme de Clermont avait mieux su qu’elle deviner ce qui manquait à son enfant, et elle se hâta d’annoncer qu’elle se chargeait de tout arranger pour le départ d’Angèle. Mme de Clermont elle-même était enchantée de découvrir chez sa jeune associée ce don précieux de l’attention par lequel la sympathie est décuplée et mise en valeur.

La journée commencée et celle du lendemain se trouvèrent fort remplies. La surprise amusante de la petite Angèle, lorsqu’elle se vit dans la grande glace d’un magasin de confections, vêtue de neuf de la tête aux pieds, son ravissement en recevant une des poupées de Marie en guise de compagne de voyage ; puis la scène à la gare, les allées et venues des fillettes ahuries et un peu larmoyantes, le joyeux babil d’Armandine réconfortant le jeune troupeau et l’alléchant par des promesses de toutes sortes ; Juliette Fouré, très fière de