Aller au contenu

Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, II.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

[7.4]

Section IV. — Engraissement des bestiaux.

[7.4.1]

§ Ier. — Définition et but de l’engraissement. —
Localités où l’on peut s’y livrer.

On appelle engraissement une opération qui consiste à soumettre les bestiaux destinés à la nourriture de l’homme, à un régime et à des soins propres à augmenter la quantité de leur graisse, et à rendre leur chair plus abondante, plus tendre et plus savoureuse. — Aujourd’hui que les jouissances du luxe se sont multipliées et que l’emploi des différentes graisses animales dans les arts et dans l’économie domestique a pris une extension considérable, la nécessité d’engraisser les animaux que l’on destine à la consommation est plus impérieuse que jamais ; les cultivateurs et les propriétaires de bestiaux ne peuvent donc trop se pénétrer de l’avantage qu’il y a pour eux de chercher les moyens les plus prompts et les plus économiques d’y parvenir.

Les animaux que nous soumettons à l’engraissement sont le bœuf, le mouton, le porc, la volaille, quelquefois la chèvre et le lapin. Dans quelques pays du Nord, on engraisse, pour la consommation de l’homme, des poulains et des ânons. La chair du chien gras est, dit-on, un mets exquis chez certains peuples de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique ; enfin en Angleterre on a essayé de châtrer des poissons pour les engraisser.

Il ne sera question ici que de l’engraissement du bœuf, du mouton et du porc. Sous le rapport de l’agriculture et de l’économie sociale, l’engraissement du bœuf est plus important que celui de tous les autres animaux domestiques réunis ; car il fournit plus de viande à la consommation, et plus d’engrais à la terre.

« On doit gémir, dit M. Groguier, de ce qu’on engraisse si peu de bêtes bovines en France. Il résulte de cette pénurie que pour l’exiguë consommation de ses habitans, en viande de boucherie, on est forcé d’avoir recours à l’étranger. — Il serait facile de prouver que si l’agriculture, en Angleterre, est si supérieure à la nôtre, c’est parce qu’on y engraisse plus de bétail et qu’on y consomme plus de viande. — En effet, pour avoir ces grands moyens d’engraissement, il a fallu étendre dans ce pays la culture des fourrages : de là plus d’alternations de récoltes, de meilleurs assolemens, la suppression des jachères ; et les terres emblayées, recevant plus d’engrais, ont donné 10 à 12 pour un, au lieu de 5 ou 6, comme elles le font en France. — C’est ainsi que tout s’enchaine dans l’économie rurale. On ne peut nier les rapports qui lient cette économie à celle de l’industrie manufacturière. Nous engraissons peu, voilà pourquoi celles de nos manufactures qui emploient des cuirs et du suif sont forcées d’acheter de l’étranger de si grandes masses de ces matières premières. — D’un autre côté, l’extension de cette pratique ne donnerait-elle pas lieu à la formation d’un grand nombre de fabriques éminemment utiles, dont les résidus sont de puissans moyens d’engraissement ? Telles sont les distilleries, féculeries, sucreries de betteraves, etc. »

De ce qui précède doit-on tirer cette conclusion, que l’on retire des avantages de l’opération qui nous occupe, partout où l’on s’y livrera ? Non sans doute, et bien que, dans l’intérêt de notre pays, il soit à désirer de voir l’engraissement mieux dirigé et plus généralement adopté, il y aura toujours certaines localités qui devront s’en abstenir : ce sont celles où les fourrages sont chers, et où la consommation du lait est grande ; les environs de Paris, de Lyon et de toutes les grandes villes sont dans ce cas. Un calcul bien simple suffira pour prouver la vérité de ce que j’avance.

Si on s’en rapporte à quelques expériences qui ont été faites en Angleterre, en donnant à un bœuf à l’engrais quarante livres de foin par jour, ou bien une quantité équivalente d’une autre nourriture, on parvient à augmenter son poids de deux livres tous les jours. Si cette proportion est exacte, et une foule de circonstances peuvent la faire varier, la valeur d’un bœuf à l’engrais augmente, terme moyen, d’un franc par jour, car un kilogramme de viande vaut à peu près cette somme ; pour arriver à ce résultat, il faudra faire consommer à ce bœuf quarante livres de foin, qui aux environs des grandes villes représentent approximativement une valeur de deux francs ; il y aurait donc un franc de perte par jour. Il est vrai qu’à l’augmentation du poids de l’animal, on doit ajouter comme gain l’amélioration de sa chair, et le produit de son fumier. Mais pour faire ce fumier il faut de la litière, et la paille est à un prix élevé à la porte des grandes cités ; il faut également des hommes pour soigner les bêtes à l’engrais, et la main-d’œuvre y coûte fort cher. — C’est donc à l’industrie de la laiterie qu’il faut se livrer de préférence dans ces localités ; là, une vache qui mangera quarante livres de fourrage donnera dix pots de lait valant au delà de deux francs, résultat double de celui que l’on peut espérer en se livrant à l’engraissement.

On peut engraisser avec de grands avantages des bœufs et des moutons dans les localités où le fourrage est abondant, et où on le vend difficilement et à bas prix en nature. Ces bêtes, étant grasses, se rendent elles-mêmes à une longue distance au lieu de consommation, tandis que le lait en nature doit être consommé à proximité du lieu où il a été produit. — Au reste, les localités où le lait se vend en nature sont fort restreintes en France ; elles ne s’étendent guère, en effet, au delà de la banlieue des villes. — Partout ailleurs il y a au moins autant d’avantages à changer le fourrage en viande qu’en lait.

Dans les contrées où l’on cultive beaucoup de grains, on trouve très-enracinée l’opinion que l’engraissement des bestiaux est réellement désavantageux ; mais cette opinion est loin d’être toujours fondée. Chacun reconnaît en effet que, pour cultiver les grains, on ne peut se dispenser d’entretenir des bêtes à laine, et tous les cultivateurs savent quelle immense influence cet entretien a sur le produit en grains. Dans le plus grand nombre des circonstances on ne peut également se