Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

risations, d’oubli et de facteurs inconnus, ces Religieuses avaient été jusqu’alors épargnées par la grande chasse à courre aux joyeuses curées, dont la République pourchassait leurs compagnes. Elles attendaient Dieu sait quoi et pourquoi, précaires, tranquilles, tremblantes, fleurs tenaces d’un jardin ravagé. L’amour de Christine pour elles avait quelque chose d’une compensation exaltée. Elles gardaient sous la tempête une enfantine paix évangélique, un peu moutonnière et innocente.

Leur sombre porche solennel restait doux comme un chien de garde pour les enfants de la maison. Dès qu’il était franchi s’ouvrait un univers enchanté. La pénombre vert-bleu des jardins intérieurs au rare soleil, le contraste avec l’admirable jardin des charmilles, qui servait pour les jours de parloir, les distributions de prix et les processions ; les deux chapelles, la grande et la petite, pleines en hiver de rameaux dorés et de fleurs artificielles, mais lors des fêtes d’été, au temps après la Pentecôte, bondées de fleurs comme au Cantique des Cantiques, étouffées, suffocantes sous la terrible odeur des lis ; les classes voûtées aux impostes rondes, ouvrant sur des cloîtres à statues, tableaux pieux, devises et petits autels ; les parloirs à plantes vertes, cirés à glace, où malgré les réprimandes et l’invitation des patins en étoffe, on pénétrait en glissant ; les processions des Enfants de Marie et des Enfants des Anges, rubans bleus et rubans feu, beaux yeux luisant d’envie de rire, de secrets et de ferveur ; la cérémonie des notes de semaine devant Mère Assistante ; les gammes de piano et les exercices jaillissant de tous les corridors, sautant hors des fenêtres dans les jardins intérieurs, criblés et transpercés par les pépiements des oiseaux ; la gaieté de cette énorme maison pleine d’enfants ; les religieuses de tout âge, de tout air, de toute corpulence, les Mères et les novices, les converses et les dames de chœur, les paysannes et les nobles, les massives et les fines, les ridées et les jeunes, les revêches et les tendres, les unes souffrantes et pâles de la pâleur de leurs lis, d’autres fortes comme des hommes,