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racle se trouvent-elles précisément dans les mains de ceux qui ne font rien et qui n’ont jamais rien fait ?

Jacques. — Mais ces messieurs prétendent que leurs pères ont travaillé et épargné.

Pierre. — Et ils devraient dire au contraire que leurs pères ont fait travailler les autres sans les payer, justement comme on fait aujourd’hui. L’histoire nous enseigne que le sort du travailleur a toujours été misérable et que celui qui a travaillé sans frustrer les autres n’a jamais pu faire d’économies et même n’a jamais eu assez pour manger à sa faim.

Voyez l’exemple que vous avez sous les yeux : tout ce que les travailleurs produisent ne s’en va-t-il pas dans les mains des patrons qui s’en emparent ? Aujourd’hui, un homme achète pour quelques francs un coin de terre inculte et marécageuse ; il y met des hommes auxquels il donne à peine de quoi ne pas mourir de faim et, pendant que ceux-ci travaillent, il reste tranquillement à la ville à ne rien faire. Au bout de quelques années cette pièce de terre inutile est devenue un jardin et vaut cent fois plus qu’elle ne valait à l’origine. Les fils du propriétaire, qui hériteront de cette fortune, diront, eux aussi, qu’ils jouissent du fruit du travail de leur père, et les fils de ceux qui ont réellement travaillé et souffert continueront à travailler et à souffrir. Que vous en semble ?

Jacques. — Mais… si vraiment, comme tu dis, le monde a toujours été ainsi, il n’y a rien à faire, et les patrons n’y peuvent rien.

Pierre. — Eh bien ! je veux admettre tout ce qui est favorable aux messieurs. Supposons que les propriétaires soient tous les fils de gens qui ont travaillé et épargné, et les travailleurs tous fils d’hommes oisifs et dépensiers. Ce que je dis est évidemment absurde, vous le comprenez ; mais quand bien même les choses seraient réellement ainsi, est-ce qu’il y aurait la moindre justice dans l’organisation sociale actuelle ? Si vous travaillez et que je sois un fainéant, il est juste que je sois puni de ma paresse, mais ce n’est pas une raison pour que mes fils, qui seront peut-être de braves travailleurs, doivent se tuer de fatigue et crever de faim pour maintenir vos fils dans l’oisiveté et dans l’abondance.

Jacques. — Tout cela est très beau et je n’y contredis pas, mais enfin les messieurs ont la fortune, et à la fin du compte, nous devons les remercier, parce que, sans eux, on ne pourrait pas vivre.

Pierre. — S’ils ont la fortune, c’est qu’ils l’ont prise de force et l’ont augmentée en prenant la fruit du travail des autres. Mais ils peuvent la perdre de la même manière qu’ils l’ont acquise. Jusqu’ici, dans ce monde, les hommes se sont fait la guerre les uns contre les autres ; ils ont cherché à s’enlever mutuellement le pain de la bouche et chacun d’eux s’est estimé heureux s’il a pu soumettre son semblable et s’en servir comme d’une bête de somme. Mais il est temps de mettre un terme à cette situation. À se faire la guerre on ne gagne rien, et l’homme n’a récolté de tout cela que la misère, l’esclavage, le crime, la prostitution et, de temps à autre, de ces saignées qui s’appellent guerres et révolutions. S’ils voulaient, au