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ne voulait pas faire venir le blé du dehors, et cela me semblait une grande coquinerie de repousser ainsi cette nourriture ; je croyais que les bourgeois voulaient affamer le peuple. Mais à présent, je vois qu’ils avaient leurs raisons.

Pierre. — Non, non, parce que si le blé n’arrive pas, c’est mauvais à un autre point de vue. Les propriétaires, alors, ne craignant plus la concurrence extérieure, vendent aux prix qu’ils veulent, et…

Jacques. — Que faire donc ?

Pierre. — Que faire ? Je vous l’ai déjà dit : il faut mettre tout en commun. Alors, plus il y aura de produits et mieux ça ira…

Jacques. — Mais dis-moi un peu… et si l’on faisait un arrangement avec les propriétaires ? Ils fourniraient la terre et le capital, nous le travail, et l’on partagerait les produits. Qu’en dis-tu ?

Pierre. — D’abord, je dis que si vous voulez partager, vous, votre patrons, il ne le voudrait pas. Il faudrait employer la force pour l’y obliger. Alors, pourquoi faire les choses à demi et se contenter d’un système qui laisse subsister l’injustice et le parasitisme et empêche l’accroissement de la production ? Et puis, de quel droit certains hommes, ne travaillant pas, viendraient-ils prendre la moitié de ce que produisent les travailleurs ?

D’ailleurs, comme je vous l’ai dit, non seulement la moitié des produits sera donnée aux patrons, mais encore la somme totale de ces produits serait inférieure à ce qu’elle pourrait être, parce que, avec la propriété particulière et le travail divisé, on produit moins qu’avec le travail en commun. C’est la même chose que pour soulever un rocher : cent hommes peuvent essayer isolément, ils n’y réussiront pas ; deux hommes ou trois agissant en même temps le soulèveront sans effort. Si un homme veut faire une épingle, qui sait s’il y parviendra en une heure ; tandis que dix hommes ensemble en font des milliers par jour. Et plus on ira, plus l’on devra travailler en commun pour mettre à profit les découvertes de la science.

Mais, à ce propos, je veux répondre à une objection qu’on nous fait souvent.

Les économistes, qui sont des gens payés par les riches pour s’entendre dire qu’ils ont le droit d’être riches aux dépens du travail d’autrui, les économistes et tous les savants au ventre plein disent souvent que la misère ne dépend pas de l’accaparement de la propriété par les hautes classes, mais bien du manque de produits naturels : d’après eux, ces produits seraient tout à fait insuffisants, si on les distribuait à tous. Ils disent cela évidemment afin de pouvoir conclure que la misère est une chose fatale, contre laquelle il n’y a rien à faire : c’est ainsi qu’agit le prêtre qui vous tient dociles et soumis en vous disant que telle est la volonté de Dieu. Mais il ne faut pas croire un mot de tout cela. Les produits de la terre et de l’industrie, même avec l’organisation actuelle, sont suffisants pour que chacun puisse vivre dans l’aisance, et s’ils ne sont pas encore plus abondants, la faute en est aux patrons qui ne pensent qu’à gagner le plus possible et qui iront même jusqu’à laisser perdre