Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en juge que par l’impression qu’ils font sur les sens. Il regarde donc ensuite sa conclusion comme un nouveau principe duquel il tire d’autres conclusions en cette sorte.

III. Puis donc que le miel et le sel et les autres corps naturels diffèrent essentiellement les uns des autres, il s’ensuit que ceux-la se trompent lourdement qui nous veulent faire croire que toute la différence qui se trouve entre ces corps ne consiste que dans la différente configuration des petites parties qui les composent. Car puisque la figure n’est point essentielle aux différents corps, que la figure de ces petites parties qu’ils imaginent dans le miel change, le miel demeurera toujours miel, quand même ces parties auraient la figure des petites parties du sel. Ainsi, il faut de nécessité qu’il se trouve quelque substance qui, étant jointe à la matière première commune in tous les différents corps, fasse qu’ils diffèrent essentiellement les uns des autres.

Voila la seconde démarche que ferait cet homme, et l’heureuse découverte des formes substantielles : ces substances fécondes qui font tout ce que nous voyons dans la nature, quoiqu’elles ne subsistent que dans l’imagination de notre philosophe. Mais voyons les propriétés qu’il va libéralement donner à cet être de son invention, car il ôtera sans doute à toutes les autres substances les propriétés qui leur sont les plus essentielles pour l’en revêtir.

IV. Puis donc qu’il se trouve dans chaque corps naturel deux substances qui le composent, l’une qui est commune au miel et au sel et à tous les autres corps, et l’autre qui fait que le miel est miel, que le sel est sel, et que tous les autres corps sont ce qu’ils sont, il s’ensuit que la première, qui est la matière, n’ayant point de contraire et étant indifférente à toutes les formes, doit demeurer sans force et sans action, puisqu’elle n’a pas besoin de se défendre. Mais pour les autres, qui sont les formes substantielles, elles ont besoin d’être toujours accompagnées de qualités et de facultés pour les défendre. Il faut quelles soient toujours sur leurs gardes, de peur d’être surprises : qu’elles travaillent continuellement à leur conservation, à étendre leur domination sur les matières voisines, et à pousser leurs conquêtes le plus avant quelles pourront, parce que si elles étaient sans force, ou si elles manquaient d’agir, d’autres formes les viendraient surprendre et les anéantiraient aussitôt. Il faut donc quelles combattent toujours, et quelles nourrissent des antipathies et ces haines irréconciliables contre ces formes ennemies qui ne cherchent qu’a les détruire.

Que s’il arrive qu’une forme s’empare de la matière d’une autre. que la forme (le cadavre, par exemple, s’empare du corps d’un