Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/139

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que les habitudes corporelles consistent dans la facilité que les esprits ont acquise de passer par certains endroits de notre corps ; ainsi la mémoire consiste dans les traces que les mêmes esprits ont imprimées dans le cerveau, lesquelles sont causes de la facilité que nous avons de nous souvenir des choses. De sorte que, s’il n’y avait point de perceptions attachées aux cours des esprits animaux ni à ces traces, il n’y aurait aucune différence entre la mémoire et les autres habitudes. Il n’est pas aussi plus difficile de concevoir que les bêtes, quoique sans âme et incapables d’aucune perception, se souviennent en leur manière des choses qui ont fait impression dans leur cerveau que de concevoir qu’elles soient capables d’acquérir différentes habitudes ; et, après ce que je viens de dire des habitudes, je ne vois pas qu’il y ait beaucoup plus de difficulté à se représenter comment les membres de leur corps acquièrent peu à peu différentes habitudes qu’à concevoir comment une machine nouvellement faite ne joue pas si facilement que lorsqu’on en a fait quelque usage.


CHAPITRE VI.
I. Que les fibres du cerveau ne sont pas sujettes à des changements si prompts que les esprits. — II. Trois différents changements dans les trois différents âges.


I. Toutes les parties des corps vivants sont dans un mouvement continuel, les parties solides et les fluides, la chair aussi bien que le sang ; il y a seulement cette différence entre le mouvement des unes et des autres, que celui des parties du sang est visible et sensible, et que celui des fibres de notre chair est tout à fait imperceptible. Il y a donc cette différence entre les esprits animaux et la substance du cerveau, que les esprits animaux sont très-agités et très-fluides, et que la substance du cerveau a quelque solidité et quelque consistance ; de sorte que les esprits se divisent en petites parties et se dissipent en peu d’heures, en transpirant par les pores des vaisseaux qui les contiennent, et il en vient souvent d’autres en leur place qui ne leur sont point du tout semblables. Mais les fibres du cerveau ne sont pas si faciles à se dissiper : il ne leur arrive pas souvent des changements considérables, et toute leur substance ne peut changer qu’après plusieurs années.

II. Les différences les plus considérables qui se trouvent dans le cerveau d’un même homme pendant toute sa vie, sont dans l’enfance, dans l’âge d’un homme fait, et dans la vieillesse.

Les fibres du cerveau dans l’enfance sont molles, flexibles et dé-