Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/142

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Car si l’on considère seulement qu’une mère fort effrayée à la vue d’un chat, engendre un enfant, que l’horreur surprend toutes les fois que cet animal se présente à lui, il est aisé d’en conclure qu’il faut donc que cet enfant ait vu avec horreur et avec émotion d’esprits ce que sa mère voyait, lorsqu’elle le portait dans son sein : puisque la vue d’un chat qui ne lui fait aucun mal, produit encore en lui de si étranges effets. Cependant je n’avance tout ceci que comme une supposition, qui selon ma pensée se trouvera suffisamment démontrée par la suite. Car toute supposition qui peut satisfaire à la résolution de toutes les difficultés que l’on peut former, doit passer pour un principe incontestable.

II. Les liens invisibles par lesquels l’auteur de la nature unit tous ses ouvrages, sont dignes de la sagesse de Dieu et de l’admiration des hommes ; il n’y a rien de plus surprenant ni de plus instructif tout ensemble ; mais nous n’y pensons pas. Nous nous laisons conduire sans considérer celui qui nous conduit, ni comment il nous conduit : la nature nous est cachée aussi bien que son auteur ; et nous sentons les mouvements qui se produisent en nous, sans en considérer les ressorts. Cependant il y a peu de choses qu’il nous soit plus nécessaire de connaître ; car c’est de leur connaissance que dépend l’explication de toutes les choses qui ont rapport à l’homme.

Il y a certainement dans notre cerveau des ressorts qui nous portent naturellement à l’imitation, car cela est nécessaire à la société civile. Non seulement il est nécessaire que les enfants croient leurs pères ; les disciples, leurs maîtres ; et les inférieurs, ceux qui sont au dessus d’eux : il faut encore que tous les hommes aient quelque disposition à prendre les mêmes manières et à faire les mêmes actions que ceux avec qui ils veulent vivre. Car afin que les hommes se lient, il est nécessaire qu’ils se ressemblent et par le corps et par l’esprit. Ceci est le principe d’une infinité de choses dont nous parlerons dans la suite. Mais, pour ce que nous avons à dire dans ce chapitre, il est encore nécessaire que l’on sache qu’il y a dans ie cerveau des dispositions naturelles qui nous portent à la compassion aussi bien qu’à l’imitation.

Il faut donc savoir que non seulement les esprits animaux se portent naturellement dans les parties de notre corps pour faire les mêmes actions, et les mêmes mouvements que nous voyons faire aux autres ; mais encore pour recevoir en quelque manière leurs blessures, et pour prendre part à leurs misères. Car l’expérience nous apprend que, lorsque nous considérons avec beaucoup d’attention quelqu’un que l’on frappe rudement, ou qui a quelque grande plaie, les esprits se transportent avec effort dans les parties