Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/150

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émotions des esprits qui leur répondent, se conservant long-temps et quelquefois toute la vie, il est évident que comme il n’y a guère de femmes qui n’aient quelques faiblesses et qui n’aient été émues de quelque passion pendant leur grossesse, il ne doit y avoir que très-peu d’enfants qui n’aient l’esprít mal tourné en quelque chose et qui n’aient quelque passion dominante.

On n’a que trop d’expériences de ces choses, et tout le monde sait assez qu’il y a des familles entières qui sont affligées de grandes faiblesses d’imagination qu’elles ont héritées de leurs parents ; mais il n’est pas nécessaire d’en donner ici des exemples particuliers. Au contraire il est plus à propos d’assurer, pour la consolation de quelques personnes, que ces faiblesses des parents n’étant point naturelles ou propres à la nature de l’homme, les traces et les vestiges du cerveau qui en sont cause se peuvent effacer avec le temps.

On peut toutefois rapporter ici l’exemple du roi Jacques d’Angleterre, duquel par le chevalier d’lgby dans le livre de la Poudre de sympathie qu’il a donné au public. Il assure dans ce livre que Marie Stuart étant grosse du roi Jacques, quelques seigneurs d’Écosse entrèrent dans sa chambre et tuèrent en sa présence son secrétaire, qui était Italien, quoiqu’elle se fût jetée au-devant d’eux pour les en empêcher ; que cette princesse y reçut quelques légères blessures, et que la frayeur qu’elle eut fit de si grandes impressions dans son imagination qu’elles se communiquèrent à l’enfant qu’elle portait dans son sein : de sorte que le roi Jacques son fils demeura toute sa vie sans pouvoir regarder une épée nue. Il dit qu’il l’expérimenta lui-même lorsqu’il fut fait chevalier, car ce prince lui devant toucher l’épaule de l’épée, il la lui porta droit au visage, et l’en eût même blessé si quelqu’un ne l’eût conduite adroitement où il fallait. Il y a tant de semblables exemples qu’il est inutile d’en aller chercher dans les auteurs. On ne croit pas qu’il se trouve quelqu’un qui conteste ces choses ; car enfin on voit un très-grand nombre de personnes qui ne peuvent souffrir la vue d’un rat, d’une souris, d’un chat, d’une grenouille, et principalement des animaux qui rampent, comme les serpents et les couleuvres, et qui ne connaissent point d’autre cause de ces aversions extraordinaires que la peur que leurs mères ont eue de ces divers animaux pendant leur grossesse.

V. Mais ce que je souhaite principalement que l’on remarque, c’est qu’il y a toutes les apparences possibles que les hommes gardent encore aujourd’hui dans leur cerveau des traces et des impressions de leurs premiers parents. Car de même que les animaux