Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/153

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peu. Mais l’ouverture de la bouche étant naturelle elle ne se peut jamais rejoindre. Il en est de même des traces du cerveau ; les naturelles ne s’effacent point, mais les autres se guérissent avec le temps. Vérité dont les conséquences sont infinies par rapport à la morale.

Comme donc il n’y a rien dans tout le corps qui ne soit conforme aux traces naturelles, elles se transmettent dans les enfants avec toute leur force. Aussi les perroquets font des petits qui ont les mêmes cris ou les mêmes chants naturels qu’ils ont eux-mêmes. Mais parce que les traces acquises ne sont que dans le cerveau et qu’elles ne rayonnent pas dans le reste du corps, si ce n’est quelque peu, comme lorsqu’elles ont été imprimées par les émotions qui accompagnent les passions violentes, elles ne doivent pas se transmettre dans les enfants. Ainsi, un perroquet qui donne le bonjour et le bonsoir à son maître, ne fera pas des petits aussi savants que lui, et des personnes doctes et habiles n’auront pas des enfants qui leur ressemblent.

Ainsi, quoiqu’il soit vrai que tout ce qui se passe dans le cerveau de la mère se passe aussi en même temps dans celui de son enfant, que la mère ne puisse rien voir, rien sentir, rien imaginer que l’enfant ne le voie, ne le sente et ne l’imagme, et enfin que toutes les fausses traces des mères corrompent l’imagination des enfants ; néanmoins, ces traces n’étant pas naturelles dans le sens que nous venons d’expliquer, il ne faut pas s’étonner si elles se referment d’ordinaire aussitôt que les enfants sont sortis du sein de leur mère. Car alors la cause qui formait ces traces et qui les entretenait ne subsistant plus, la constitution naturelle de tout le corps contribue à leur destruction, et les objets sensibles en produisent d’autres toutes nouvelles, très-profondes et en très-grand nombre qui effacent presque toutes celles que les enfants ont eues dans le sein de leur mère. Car, puisqu’il arrive tous les jours qu’une grande douleur fait qu’on oublie celles qui ont précédé, il n’est pas possible que des sentiments aussi vifs que sont ceux des enfants, qui reçoivent pour la première fois l’impression des objets sur les organes délicats de leurs sens, n’effacent la plupart des traces qu’ils n’ont reçues des mêmes objets que par une espèce de contre-coup, lorsqu’ils en étaient comme à couvert dans le sein de leur mère.

Toutefois, lorsque ces traces sont formées par une forte passion et accompagnées d’une agitation très-violente de sang et d’esprits dans la mère, elles agissent avec tant de force sur le cerveau de l’enfant et sur le reste de son corps, qu’elles y impriment des vestiges aussi profonds et aussi durables que les traces naturelles :