Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/159

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très-facilement agitées par les objets même les plus faibles et les moins sensibles ; et leur âme ayant nécessairement des sensations proportionnées à l’agitation de ces fibres, elle laisse là les pensées métaphysiques et de pure intellection, pour s’appliquer uniquement à ses sensations. Ainsi, il semble que les enfants ne peuvent pas considérer avec assez d’attention les idées pures de la vérité, étant si souvent et si facilement distraits par les idées confuses des sens.

Cependant on peut répondre, premièrement, qu’il est plus facile à un enfant de sept ans de se délivrer des erreurs où les sens le portent, qu’à une personne de soixante qui a suivi toute sa vie les préjugés de l’enfance. Secondement, que si un enfant n’est pas capable des idées claires et distinctes de la vérité, il est du moins capable d’être averti que ses sens le trompent en toutes sortes d’occasions ; et si on ne lui apprend pas la vérité, du moins ne doit-on pas entretenir, ni le fortifier dans ses erreurs. Enfin, les plus jeunes enfants, tout accablés qu’ils sont de sentiments agréables et pénibles, ne laissent pas d’apprendre en peu de temps ce que des personnes avancées en âge ne peuvent faire en beaucoup davantage, comme la connaissance de l’ordre et des rapports qui se trouvent entre tous les mots et toutes les choses qu’ils voient et qu’ils entendent. Car quoique ces choses ne dépendent guère que de la mémoire, cependant il paraît assez qu’ils font beaucoup d’usage de leur raison dans la manière dont ils apprennent leur langue.

II. Mais puisque la facilité qu’ont les fibres du cerveau des enfants pour recevoir les impressions touchantes des objets sensibles, est la cause pour laquelle on les juge incapables des sciences abstraites, il est difficile d’y remédier. Car il faut qu’on avoue que si on tenait les enfants sans crainte, sans désirs et sans espérances ; si on ne leur faisait point souffrir de douleurs, si on les éloignait autant qu’il se peut de leurs petits plaisirs, on pourrait leur apprendre, dès qu’ils sauraient parler, les choses les plus difficiles et les plus abstraites, ou tout au moins les mathématiques sensibles, la mécanique et d’autres choses semblables qui sont nécessaires dans la suite de la vie. Mais ils n’ont garde d’appliquer leur esprit à des sciences abstraites, lorsqu’on les agite par des désirs et qu’on les trouble par des frayeurs, ce qu’il est très-nécessaire de bien considérer.

Car comme un homme ambitieux, qui viendrait de perdre son bien et son honneur, ou qui aurait été élevé tout d’un coup à une grande dignité qu’il n’espérait pas, ne serait point en état de résoudre des questions de métaphysique ou des équations d’algèbre ; mais seulement de faire les choses que la passion présente lui inspirerait ainsi, les enfants, dans le cerveau desquels une pomme