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VIII PRÉFACE.

Ceux qui prendront la peine de lire avec quelque application l’ouvrage que l’on donne présentement au public entreront, si je ne me trompe, dans cette disposition d’esprit ; car on y démontre en plusieurs manières que nos sens, notre imagination et nos passions nous sont entièrement inutiles pour découvrir la vérité et notre bien ; qu’ils nous éblouissent au contraire et nous séduisent en toutes rencontres, et généralement que toutes les connaissances que l’esprit reçoit par le corps on à cause de quelques mouvements qui se font dans le corps sont toutes fausses et confuses par rapport aux objets qu’elles représentent, quoiqu’elles soient très-utiles à la conservation du corps et des biens qui ont rapport au corps.

On y combat plusieurs erreurs, et principalement celles qui sont les plus universellement reçues ou qui sont cause d’un plus grand dérèglement d’esprit ; et l’on fait voir qu’elles sont presque toutes des suites de l’union de l’esprit avec le corps. On prétend en plusieurs endroits faire sentir à l’esprit sa servitude et la dépendance où il est de toutes les choses sensibles, afin qu’il se réveille de son assoupissement et qu’il fasse quelques efforts pour sa délivrance.

On ne se contente pas d’y faire une simple exposition de nos égarements, on explique encore en partie la nature de l’esprit ; on ne s’arrête pas, par exemple, à faire un grand dénombrement de toutes les erreurs particulières des sens ou de l’imagination, mais on s’arrête principalement aux causes de ces erreurs. On montre tout d’une vue, dans l’explication de ces facultés et des erreurs générales dans lesquelles on tombe, un nombre comme infini de ces erreurs particulières dans lesquelles on peut tomber. Ainsi le sujet de cet ouvrage est l’esprit de l’homme tout entier : on le considère en lui-même, on le considère par rapport aux corps et par rapport à Dieu ; on examine la nature de toutes ses facultés, on marque es usages que l’on en doit faire pour éviter l’erreur ; enfin on explique la plupart des choses que l’on a cru être utiles pour avancer dans la connaissance de l’homme.

La plus belle, la plus agréable et la plus nécessaire de toutes nos connaissances est sans doute la connaissance de nous-mêmes. De toutes les sciences humaines, la science de l’homme est la plus digne de l’homme. Cependant cette science n’est pas la plus cultivée ni la plus achevée que nous ayons : le commun des hommes la néglige entièrement. Entre ceux même qui se piquent de science, il y en a très-peu qui s’y appliquent, et il y en a encore beaucoup moins qui s’y appliquent avec succès. La plupart de ceux qui passent pour habiles dans le monde ne voient que fort confusément la différence essentielle qui est entre l’esprit et le corps. Saint Augustin même, qui a si bien distingué ces deux êtres, confesse qu’il a été long-temps sans la pouvoir reconnaître[1]. Et quoiqu’on doive demeurer d’accord qu’il a mieux expliqué les propriétés de l’âme et du corps que tous ceux qui l’ont précédé et qui l’ont suivi jus-

  1. Conf., liv. 4. ch. 5.