Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/187

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contrainte d’avoir toujours les pensées qui sont liées avec ces traces, elle en devient comme esclave, et elle est toujours troublée et inquiétée, lors même que, connaissant son égarement, elle veut tâcher d’y remédier. Ainsi, elle est continuellement en danger de tomber dans un très-grand nombre d’erreurs, si elle ne demeure toujours en garde et dans une résolution inébranlable d’observer la règle dont on a parlé au commencement de cet ouvrage, c’est-à-dire de ne donner un consentement entier qu'à des choses entièrement évidentes.

Je ne parle point ici du mauvais choix que font la plupart du genre d’étude auquel ils s’appliquent. Cela se doit traiter dans la morale, quoique cela se puisse aussi rapporter à ce qu’on vient de dire de la préoccupation. Car, lorsqu’un homme se jette à corps perdu dans la lecture des rabbins et des livres de toutes sortes de langues les plus inconnues et par conséquent les plus inutiles, et qu’il y consume toute sa vie, il le fait sans doute par préoccupation et sur une espérance imaginaire de devenir savant, quoiqu’il ne puisse jamais acquérir par cette voie aucune véritable science. Mais comme cette application à une étude inutile ne nous jette pas tant dans l’erreur qu’elle nous fait perdre notre temps pour nous remplir d’une sotte vanité, on ne parlera point ici de ceux qui se mettent en tête de devenir savants dans toutes ces sortes de sciences basses ou inutiles, desquelles le nombre est fort grand et que l’on étudie d’ordinaire avec trop de passion.


CHAPITRE VII.
I. Des inventeurs de nouveaux systèmes. — II. Dernière erreur des personnes d’étude.


I. Nous venons de faire voir l’état de l’imagination des personnes d’étude qui donnent tout à l’autorité de certains auteurs ; il y en a encore d’autres qui leur sont bien opposés. Ceux-ci ne respectent jamais les auteurs, quelque estime qu’ils aient parmi les savants. S’ils les ont estimés ils ont bien changé depuis ; ils s’érigent eux-mêmes en auteurs. Ils veulent être les inventeurs de quelque opinion nouvelle, afin d’acquérir par là quelque réputation dans le monde ; et ils assurent qu’en disant quelque chose qui n’ait point encore été dit ils ne manqueront pas d’admirateurs.

Ces sortes de gens ont d’ordinaire l’imagination assez forte ; les fibres de leur cerveau sont de telle nature qu’elles conservent longtemps les traces qui leur ont été imprimées. Ainsi, lorsqu’ils ont une fois imaginé un système qui a quelque vraisemblance, on ne peut plus les en détromper. Ils retiennent et conservent très-chèrement