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PRÉFACE. XI

auteurs qui nous ont précédés que comme des moniteurs. Nous serions bien injustes et bien vains de vouloir qu’on nous écoutât comme des docteurs et comme des maîtres. Nous demandons bien que l’on croie les faits et les expériences que nous rapportons, parce que ces choses ne s’apprennent point par l’application de l’esprit à la raison souveraine et universelle ; mais, pour toutes les vérités qui se découvrent dans les véritables idées des choses, que la vérité éternelle nous représente dans le plus secret de notre raison, nous avertissons expressément que l’on ne s’arrète point à ce que nous en pensons ; car nous ne croyons pas que ce soit un petit crime que de se comparer à Dieu, en dominant ainsi sur les esprits[1].

La principale raison pour laquelle on souhaite extrêmement que ceux qui liront cet ouvrage s’y appliquent de toutes leurs forces, c’est que l’on désire d’être repris des fautes qu’on pourrait y avoir commises ; car on ne s’imagine pas être infaillible. On a une si étroite liaison avec son corps, et on en dépend si fort, que l’on appréhende, avec raison, de n’avoir pas toujours bien discerné le bruit confus dont il remplit l’imagination d’avec la voix pure de la vérité qui parle à l’esprit.

S’il n’y avait que Dieu qui parlât, et que l’on ne jugeât que selon ce qu’on entendrait, on pourrait peut-être user de ces paroles de Jésus-Christ : Je juge selon ce que j’entends, et mon jugement est juste et véritable[2]. Mais on a un corps qui parle plus haut que Dieu même, et ce corps ne dit jamais la vérité. On a de l’amour-propre, qui corrompt les paroles de celui qui dit toujours la vérité. Et on a de l’orgueil, qui inspire l’audace de juger sans attendre les réponses de la vérité, selon lesquelles seules on doit juger ; car la principale cause de nos erreurs, c’est que nos jugements s’étendent à plus de choses que la vue claire de notre esprit. Je prie donc ceux à qui Dieu fera connaître mes égarements de me redresser, afin que cet ouvrage, que je ne donne que comme un essai dont le sujet est très-digne de l’application des hommes, puisse peu à peu se perfectionner.

On ne l’avait entrepris d’abord que dans le dessein de s’instruire ; mais quelques personnes ayant cru qu’il serait utile de le rendre public, on s’est rendu à leurs raisons d’autant plus volontiers qu’une des principales s’accordait avec ce désir que l’on avait de s’etre utile à soi-même. Le véritable moyen, disaient-ils, de s'instruire pleinement de quelque matière, c’est de proposer aux habiles gens les sentiments qu’on en a. Cela excite notre attention et la leur. Quelquefois ils ont d’autres vues, et ils découvrent d’au-

  1. Voy. le livre de S. Aug. De Magistro. — Noli putare te ipsam esse lucem. Aug. in Psal. — Non a me mihi lumen existens, sed lumen non participas nisi IN TE. De verbis Domini, Ser. 8.
  2. Sicut audio, sic judico, et judicium meum justum est, quia non quæro voluntatem meam. Ep. Joan., ch. 5, 30.