Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/31

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plaisirs sensibles sont des raisons confuses, mais très-fortes à cause de la corruption de notre nature, lesquelles nous rendent froids et indifférents dans l’amour même de Dieu ; et ainsi nous sentons manifestement notre indifférence, et nous sommes intérieurement convaincus que nous faisons usage de notre liberté quand nous aimons Dieu.

Mais nous n’apercevons pas de même que nous fassions usage de notre liberté quand nous consentons à la vérité, principalement lorsqu’elle nous paraît entièrement évidente ; et cela nous fait croire que le consentement, à la vérité, n’est pas volontaire. Comme s’il fallait que nos actions fussent indifférentes pour être volontaires, et comme si les bienheureux n’aimaient pas Dieu très-volontairement sans en être détournés par quoi que ce soit, de même que nous consentons à cette proposition évidente que deux fois 2 sont 4, sans être détournés de la croire par quelque apparence de raison contraire.

Mais afin que l’on reconnaisse distinctement la différence qu’il y a entre le consentement de la volonté à la vérité et son consentement à la bonté, il faut savoir la différence qui se trouve entre la vérité et la bonté prise dans le sens ordinaire et par rapport à nous. Cette différence consiste en ce que la bonté nous regarde et nous touche, et que la vérité ne nous touche pas ; car la vérité ne consiste que dans le rapport que deux ou plusieurs choses ont entre elles, mais la bonté consiste dans le rapport de convenance que les choses ont avec nous[1]. Ce qui fait qu’il n’y a qu’une seule action de la volonté au regard de la vérité, qui est son acquiescement ou son consentement à la représentation du rapport qui est entre les choses, et qu’il y en a deux au regard de la bonté, qui sont son acquiescement ou son consentement au rapport de convenance de la chose avec nous, et son amour ou son mouvement vers cette chose, lesquelles actions sont bien différentes, quoiqu’on les confonde ordinairement. Car il y a bien de la différence entre acquiescer simplement et se porter par amour à ce que l’esprit représente, puisqu’on acquiesce souvent à des choses que l’on voudrait bien qui ne fussent pas et que l’on fuit.

Or, si on considère bien ces choses, on reconnaîtra visiblement que c’est toujours la volonté qui acquiesce, non pas aux choses si elles ne lui sont agréables, mais à la représentation des choses ; et que la raison pour laquelle la volonté acquiesce toujours à la représentation des choses qui sont dans la dernière évidence est,

  1. Les géomètres n’aiment pas la vérité, mais la connaissance de la vérité, quoiqu’on le dise autrement.