Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/331

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ment dans quelque recoin de ses livres. En un mot, il se contredit presque toujours, si ce n’est dans ses ouvrages, c’est au moins dans la bouche de ceux qui l’enseignent. Car encore que les philosophes protestent et prétendent même d’enseigner sa doctrine, il est difficile d’en trouver deux qui soient d’accord sur ses sentiments, parce qu’en effet les livres d’Aristote sont si obscurs et remplis de termes si vagues et si généraux, qu’on peut lui attribuer avec quelque vraisemblance les sentiments de ceux qui lui sont les plus opposés. On peut lui faire dire tout ce qu’on veut dans quelques-uns de ses ouvrages, parce qu’il n’y dit presque rien, quoiqu’il fasse beaucoup de bruit ; de même que les enfants font dire au son des cloches tout ce qu’il leur plaît, parce que les cloches font grand bruit et ne disent rien.

Il est vrai qu’il parait fort raisonnable de fixer et d’arrêter l’esprit de l’homme à des opinions particulières, afin de l’empêcher d’extravaguer. Mais quoil faut-il que ce soit par le mensonge et par l’erreur ? ou plutôt croit-on que l’erreur puisse réunir les esprits ? Que l’on examine combien il est rare de trouver des personnes d’esprit qui soient satisfaites de la lecture d’Aristote, et qui soient persuadés d’avoir acquis une véritable science après même qu’ils ont vieilli sur ses livres, et on reconnaîtra manifestement qu’il n’y a que la vérité et l’évidence qui arrêtent l’agitation de l’esprit, et que les disputes, les aversions, les erreurs et les hérésies mêmes sont entretenues et fortifiées par la mauvaise manière dont on étudie. La vérité consiste dans un indivisible, elle n’est pas capable de variété, et il n’y a qu’elle qui puisse réunir les esprits ; mais le mensonge et l’erreur ne peuvent que les diviser et les agiter.

Je ne doute pas qu’il n’y ait quelques personnes qui croient de bonne foi que celui qu’ils appellent le prince des philosophes n’est point dans l’erreur, et que c’est dans ses ouvrages que se trouve la véritable et solide philosophie. Il y a des gens qui s’imaginent que depuis deux mille ans qu’Aristote a écrit on n’a pu encore découvrir qu’il fût tombé dans quelque erreur ; qu’ainsi, étant infaillible en quelque manière, ils peuvent le suivre aveuglément et le citer comme infaillible. Mais on ne veut pas s’arrêter à répondre à ces personnes, parce qu’il faut qu’elles soient dans une ignorance trop grossière et plus digne d’être méprisée que d’être combattue. Ou leur demande seulement que s’ils savent qu’Aristote ou quelqu’un de ceux qui l’ont suivi aient jamais déduit quelque vérité des principes de physique qui lui soient particuliers, ou si peut-être ils l’ont fait eux-mêmes, qu’ils se déclarent, qu’ils l’expliquent et qu’ils le prouvent, et on leur promet de ne plus parler d’Aristote qu’avec