Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/39

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ses que par mémoire et sans en avoir eu d'évidence ni de certitude.

La seconde chose qu’il faut remarquer, est que dans la morale, la politique, la médecine et dans toutes les sciences qui sont de pratique, on est obligé de se contenter de la vraisemblance, non pour toujours, mais pour un temps ; non parce qu’elle satisfait l’esprit, mais parce que le besoin presse, et que si l’on attendait pour agir qu’on se fût entièrement assuré du succès, souvent l’occasion se perdrait. Mais quoiqu’il arrive qu'il faille agir, l’on doit en agissant douter du succès des choses que l’on exécute, et il faut tâcher de faire de tels progrès dans ces sciences, qu'on puisse dans les occasions agir avec plus de certitude ; car ce devrait être là la fin ordinaire de l’étude et de l’emploi de tous les hommes qui font usage de leur esprit.

La troisième chose enfin, c’est qu’il ne faut pas mépriser absolument les vraisemblances, parce qu’il arrive ordinairement que plusieurs, jointes ensemble, ont autant de force pour convaincre que des démonstrations très-évidentes. Il s’en trouve une infinité d’exemples dans la physique et dans la morale, de sorte qu’il est souvent à propos d’en amasser un nombre suffisant sur les matières qu’on ne peut démontrer autrement, afin de pouvoir trouver la vérité qu’il serait impossible de découvrir d’une autre manière.

Il faut que j’avoue encore ici que la loi que j’impose est bien rigoureuse, qu’une infinité de gens aimeront mieux ne raisonner jamais que de raisonner à ces conditions ; qu’on ne courra pas si vite avec des circonspections si incommodes. Mais il faut aussi que l'on m’accorde qu’on marchera avec sûreté en la suivant ; que jusqu’à présent pour avoir couru trop vite on a été obligé de retourner sur ses pas ; et même un grand nombre de personnes conviendront avec moi, que puisque M. Descartes a découvert en trente années plus de vérités que tous les autres philosophes. À cause qu’il s’est soumis à cette loi ; si plusieurs personnes philosophaient comme lui, on pourrait savoir avec le temps la plupart des choses qui sont nécessaires pour vivre heureux, autant qu’on le petit sur une terre que Dieu a maudite.


CHAPITRE IV.
I. Des causes occasionnelles de l’erreur, et qu’il y en a cinq principales. — II. Dessein général de tout l’ouvrage, et dessein particulier du premier livre.


Nous venons de voir qu’on ne tombe dans l’erreur que parce que l’on ne fait pas l'utsage qu’on devrait faire de sa liberté : que c’est