Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/409

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qu’il n’y a que le consentement de notre volonté qui dépende véritablement de nous. Mais il semble à propos d’expliquer plus au long toutes ces choses et de les rendre plus sensibles par quelques exemples.

Supposons donc qu’un homme reçoive actuellement quelque affront, ou qu’étant naturellement d’une imagination forte et vive ou échauffée par quelque accident, comme par une maladie ou par une retraite de chagrin et de mélancolie, il se figure dans son cabinet que tel, qui ne pense pas même à lui, est en état et dans la volonté de lui nuire, la vue sensible ou l’imagination du rapport des actions de son ennemi avec ses propres desseins sera la première cause de sa passion.

Il n’est pas même absolument nécessaire que cet homme reçoive ou s’imagine recevoir quelque affront, ou trouver quelque opposition dans ses desseins, afin que le mouvement de sa volonté reçoive quelque nouvelle détermination : il suffit pour cela qu’il le pense par l’esprit seul et sans que le corps y ait de part. Mais comme cette nouvelle détermination ne serait pas une détermination de passion, mais une pure inclination très-faible et très-languissante, il faut plutôt supposer que cet homme souffre actuellement quelque grande opposition dans ses desseins, ou qu’il s’imagine fortement qu’on lui en doit faire, que d’en supposer un autre dont les sens et l’imagination n’aient point ou presque point de part à sa connaissance.

La seconde chose que l’on peut considérer dans la passion de cet homme est une augmentation du mouvement de sa volonté vers le bien dont son ennemi réel ou imaginaire lui veut empêcher la possession ; et cette augmentation est d’autant plus grande que l’opposition qu’on lui veut faire lui paraît plus forte. Il ne hait d’abord son ennemi que parce qu’il aime le bien ; et sa haine est d’autant plus grande que son amour est plus fort, parce que le mouvement de sa volonté dans sa haine n’est en effet ici qu’un mouvement d’amour, le mouvement de l’âme vers le bien n’étant pas différent de celui par lequel on en fuit la privation, comme l’on a déjà dit.

La troisième chose est le sentiment convenable à la passion ; et. dans celle-ci, c’est un sentiment de haine. Le mouvement de la haine est le même que celui de l’amour ; mais le sentiment de la haine est tout différent de celui de l’amour, ce que chacun peut savoir par sa propre expérience. Les mouvements sont des actions de la volonté ; les sentiments sont des modifications de l’esprit. Les mouvements de la volonté sont les causes naturelles des sentiments le l’esprit, et ces sentiments de l’esprit entretiennent à leur tour les