Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/416

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qu’elle est pure ; mais nos passions nous tiennent toujours hors de chez nous, et par leur bruit et leurs ténèbres elles nous empêchent d’être instruits de sa voix et éclairés de sa lumière. Il parle même à ceux qui ne l’interrogent pas ; et ceux que les passions ont emportés le plus loin entendent néanmoins quelques-unes de ses paroles ; mais des paroles fortes, menaçantes et terribles, plus perçantes qu’une épée à deux tranchants, qui pénètre jusque dans les replis de l’âme, et qui discerne les pensées et les mouvements du cœur ; par tout est à découvert devant ses yeux, et il ne peut voir les dérèglements des pécheurs sans leur en faire intérieurement de sanglants reproches[1]. Il faut donc rentrer dans nous-mêmes et nous rapprocher de lui. Il faut l’interroger, l’écouter et lui obéir ; car si nous l’écoutons toujours, nous ne serons jamais trompés ; et si nous lui obéissons toujours, nous ne serons jamais assujettis à l’inconstance des passions et aux misères dues au péché.

Il ne faut pas s’imaginer, comme certains esprits forts que l’orgueil des passions a réduits à la condition des bêtes, et qui, ayant long-temps méprisé la loi de Dieu, semblent enfin n’en connaître plus d’autre que celle de leurs passions infâmes ; il ne faut pas, dis-je, s’imaginer, comme ces hommes de chair et de sang, que ce soit suivre Dieu et obéir à la voix de l’auteur de la nature, que de suivre les mouvements de ses passions et obéir aux désirs secrets de son cœur. C’est là le dernier aveuglement ; c’est, selon saint Paul, la peine temporelle de l’impiété et de l’idolâtrie, c’est-à-dire la punition des plus grands crimes[2]. En effet, cette peine est d’autant plus grande qu’au lieu d’apaiser la colère de Dieu, comme toutes les autres punitions de ce monde, elle l’irrite et l’augmente sans cesse jusqu’au jour terrible auquel cette juste colère éclatera sur les pécheurs.

Cependant leurs raisonnements ne manquent pas de vraisemblance, ils semblent fort conformes au sens commun, ils sont favorisés des passions, et toute la philosophie de Zénon ne saurait sans doute les détruire. Il faut aimer le bien, disent-ils ; le plaisir est le caractère que la nature a attaché au bien, et c’est par ce caractère, qui ne peut être trompeur puisqu’il vient de Dieu, que nous le discernons du mal. Il faut fuir le mal, disent-ils encore, la douleur est le caractère que la nature a attaché au mal ; et c’est par ce caractère, qui ne peut être trompeur puisqu’il, vient de Dieu, que nous le discernons du bien. On goûte du plaisir quand on s’abandonne à ses passions ; on sent de la peine et de la douleur quand on y résiste. Donc l’auteur de la nature veut que nous nous

  1. Hebr. c. 4.
  2. Rom. c. 1.