Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/450

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imagination, qu’ils en demeurent tout étourdis, qu’ils respectent cette puissance qui les abat et qui les aveugle, et qu’ils admirent comme des vérités éclatantes des sentiments confus qui ne peuvent s’exprimer.


CHAPITRE VIII.
Continuation du même sujet. Du bon usage que l’on peut faire de l’admiration et des autres passions.


Toutes les passions ont deux effets fort considérables, elles appliquent l’esprit et elles gagnent le cœur. En ce qu’elles appliquent l’esprit, elles peuvent être fort utiles à la connaissance de la vérité : pourvu que l’on sache en faire usage ; car l’application produit la lumière, et la lumière découvre la vérité. Mais en ce qu’elles gagnent le coeur, elles font toujours un mauvais effet ; parce qu’elles ne gagnent le cœur, qu’en corrompant la raison, et en lui représentant les choses non selon ce qu’elles sont en elles-mêmes, ou selon la vérité, mais selon le rapport qu’elles ont avec nous.

De toutes les passions celle qui va le moins au cœur, c’est l’admiration ; car c’est la vue des choses, comme bonnes ou comme mauvaises, qui nous agite ; la vue des choses comme nouvelles, comme grandes et extraordinaires sans autre rapport avec nous, ne nous touche presque pas. Ainsi l’admiration qui accompagne la connaissance de la grandeur ou de l’excellence des choses nouvelles que nous considérons corrompt beaucoup moins la raison que toutes les autres passions, et elle peut même être d’un grand usage pour la connaissance de la vérité ; pourvu que l’on ait beaucoup de soin d’empêcher qu’elle ne soit suivie des autres passions, comme il arrive presque toujours.

Dans l'admiration, les esprits animaux sont poussés avec force vers les endroits du cerveau qui représentent l’objet nouveau selon ce qu’il est en lui-même ; ils y font des traces distinctes et assez profondes pour s’y conserver long-temps ; et par conséquent l’esprit en à une idée assez claire ou assez nette, et il s’en ressouvient facilement. Ainsi l’on ne peut nier que l’admiration ne soit très-utile pour les sciences, puisqu’elle applique et qu’elle éclaire l’esprit. Il n’en est pas de même des autres passions ; elles appliquent l’esprit, mais elles ne l’éclairent pas. Elles l’appliquent, parce qu’elles réveillent les esprits animaux dont le cours est nécessaire pour la formation et la conservation des traces ; mais elles ne l’éclairent pas, ou elles l’éclairent d’un faux jour et d’une lumière trompeuse, parce qu’elles poussent de telle manière ces mêmes