Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/478

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toute la perfection dont il est naturellement capable, en lui fournissant les secours nécessaires pour devenir plus attentif et plus étendu, et en lui prescrivant les règles qu’il faut observer, dans la recherche de la vérité, pour ne se tromper jamais, et pour apprendre avec le temps tout ce que l’on peut savoir.

Si l’on portait ce dessein jusqu’à sa dernière perfection, ce que l’on ne prétend pas, car ceci n’est qu’un essai, on póurrait dire qu’on aurait donné une science universelle, et que ceux qui en sauraient faire usage seraient véritablement savants, puisqu’ils auraient le fondement de toutes les sciences particulières, et qu’ils les acquerraient à proportion de l’usage qu’ils feraient de cette science universelle. Car on tâche par ce traité de rendre les esprits capables de former des jugements véritables et certains sur toutes les questions qui leur seront proportionnées.

Comme il ne sutffit pas, pour être bon géomètre, de savoir par mémoire toutes les démonstrations d’Euclide, de Pappus, d'Archimède, d’Appollonius, et de tout ceux qui ont écrit de la géométrie ; ainsi ce n’est pas assez pour être savant philosophe d’avoir lu Platon, Aristote, Descartes, et de savoir par mémoire tous leurs sentiments sur les questions de philosophie. La connaissance de toutes les opinions et de tous les jugements des autres hommes, philosophes ou géomètres, n’est pas tant une science qu’une histoire, car la véritable science, qui seule peut rendre à l’esprit de l’homme la perfection dont il est maintenant capable, consiste dans une certaine capacité de juger solidement de toutes les choses qui lui sont proportionnées. Mais pour ne point perdre de temps et ne préoccuper personne par des jugements précipités, commençons à traiter d’une matière si importante.

Il faut se ressouvenir d’abord de la règle que l’on a établie et prouvée dès le commencement du premier livre, parce qu'elle est le fondement et le premier principe de tout ce que nous dirons dans la suite. Je la répète : on ne doit jamais donner un consentement entier qu’aux propositions qui paraissent si évidemment vraies qu’on ne puisse le leur refuser sans sentir une peine intérieure et des reproches secrets de la raison, c’est-à-dire sans que l’on connaisse clairement que l’on ferait mauvais usage de sa liberté si l’on ne voulait pas consentir. Toutes les fois que l’on consent aux vraisemblances, on se met certainement en danger de se tromper et l’on se trompe en effet presque toujours ; ou enfin si l’on ne se trompe pas, ce n’est que par hasard et par bonheur. Ainsi la vue confuse d’un grand nombre de vraisemblances sur différents sujets, ue rend point notre raison plus parfaite ; et il n’y a que la vue claire