Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/51

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premières, et ainsi à l’infini. De sorte que, selon cette pensée qui ne peut paraitre impertinente et bizarre qu’a ceux qui mesurent les merveilles de la puissance infinie de Dieu avec les idées de leurs sens et de leur imagination, on pourrait dire que dans un seul pépin de pomme il y aurait des pommiers, des pommes et des semences de pommiers pour des siècles infinis ou presque infinis, dans cette proportion d’un pommier parfait a un pommier dans sa semence ; que la nature ne fait que développer ces petits arbres, en donnant un accroissement sensible à celui qui est hors de sa semence, et des accroissements insensibles, mais très-réels et proportionnés à leur grandeur, à ceux qu’on conçoit être dans leurs semences ; car on ne peut pas douter qu’íl ne puisse y avoir des corps assez petits, pour s’insinuer entre les fibres de ces arbres que l’on conçoit dans leurs semences, et pour leur servir ainsi de nourriture.

Ce que nous venons de dire des plantes et de leurs germes, se peut aussi penser des animaux et du germe dont ils sont produits. On voit dans le germe de l’oignon d’une tulipe une tulipe entière. On voit aussi dans le germe d’un œuf frais, et qui n’a point été couvé, un poulet qui est peut-être entièrement formé[1]. On voit des grenouilles dans les œufs des grenouilles, et on verra encore d’autres animaux dans leur germe, lorsqu’on aura assez d’adresse et d’expérience pour les découvrir. Mais il ne faut pas que l’esprit s’arrête avec les yeux ; car la vue de l’esprit a bien plus d’étendue que la vue du corps. Nous devons donc penser outre cela que tous les corps des hommes et des animaux, qui naîtront jusqu’à la consommation des siècles, ont peut-être été produits des la création du monde ; je veux dire que les femelles des premiers animaux ont peut-être été créées avec tous ceux de même espèce qu’ils ont engendrés, et qui devaient d’engendrer dans la suite des temps.

Un pourrait encore pousser davantage cette pensée, et peut-être avec beaucoup de raison et de vérité ; mais on appréhende avec sujet de vouloir pénétrer trop avant dans les ouvrages de Dieu. On n’y voit qu’infinitós partout, et nou-seulement nos sens et notre imagination sont trop limites pour les comprendre, mais l’esprít même, tout pur et tout dégagé qu’il est de la matière, est trop grossier et trop faible pour pénétrer le plus peut des ouvrages de Dieu. Il se perd, il se dissipe, il s’éblouit, il s’effraie à la vue de ce qu’on appelle un atome selon le langage des sens. Mais toutefois l’esprit

  1. Le germe de l’œuf est une petite tache blanche qui est sur le jaune.— Voy. le liv. De formatione pulli ta oro M. Malpighi. — Voy. Miraculum naturœ de M. Swammerdam.