Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/532

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Combien de gens rejettent la philosophie de M. Descartes par cette plaisante raison que les principes en sont trop simples et trop faciles ! Il n’y a point de termes obscurs et mystérieux dans cette philosophie ; des femmes et des personnes qui ne savent ni grec ni latin, sont capables de l’apprendre ; il faut donc que ce soit peu de chose, et il n’est pas juste que de grands génies s’y appliquent. Ils s’imaginent que des principes si clairs et si simples ne sont pas assez féconds pour expliquer les effets de la nature qu’ils supposent obscure et embarrassée. Ils ne voient point d’abord l’usage de ces principes, qui sont trop simples et trop faciles pour arrêter leur attention, autant de temps qu’il en faut pour en reconnaître l’usage et l’étendue. Ils aiment donc mieux expliquer des effets dont ils ne comprennent point la cause, par des principes qu’ils ne conçoivent point, et qu’il est absolument impossible de concevoir, que par des principes simples et intelligibles tout ensemble. Car ces philosophes expliquent des choses obscures par des principes qui ne sont pas seulement obscurs, mais entièrement incompréhensibles.

Lorsque quelques personnes prétendent expliquer par des principes clairs et connus de tout le monde des choses extrêmement embarrassées, il est facile de voir s’ils y réussissent, parce que, si l’on conçoit bien ce qu’ils disent, l’on peut reconnaître s’ils disent vrai. Ainsi, les faux savants ne trouvent point leur compte, et ne se font point admirer comme ils le souhaitent, lorsqu’ils se servent de principes intelligibles ; parce que l’on reconnaît évidemment qu’ils ne disent rien de vrai. Mais lorsqu’ils se servent de principes inconnus, et qu’ils parlent des choses fort composées, comme s’ils en connaissaient exactement tous les rapports, on les admire ; parce qu’on ne conçoit point ce qu’ils disent, et que nous avons naturellement du respect pour ce qui passe notre intelligence.

Or, comme les choses obscures et incompréhensibles semblent mieux se lier les unes avec les autres, que les choses obscures avec celles qui sont claires et intelligibles, les principes incompréhensibles sont d’un plus grand usage que les principes intelligibles dans les questions très-composées. Il n’y a rien de si difficile dont les philosophes et les médecins ne prétendent rendre raison en peu de mots par leurs principes ; car leurs principes étant encore plus incompréhensibles que toutes les questions que l’on peut leur faire, lorsqu’on suppose ces principes pour certains il n’y a point de difficulté qui puisse les embarrasser.

Ils répondent, par exemple, hardiment et sans hésiter à ces questions obscures ou indéterminées : D’où vient que le soleil attire les vapeurs, que le quinquina arrête la fièvre quarte, que la rhu-