Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/57

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juste, ni même de si magnifique dans les maisons des plus grands princes, que ce qu’on voit avec des lunettes sur la tête d’une simple mouche.

Il est vrai que ces choses sont fort petites ; mais il est encore plus surprenant qu’il se trouve tant de beautés ramassées dans un si petit espace ; et quoiqu’elles soient fort communes, elles n’en sont pas moins estimables, et ces animaux n’en sont pas moins parfaits en eux mêmes ; au contraire Dieu en paraît plus admirable, qui a fait avec tant de profusion et de magnificence un nombre presque infini de miracles en les produisant.

Cependant notre vue nous cache toutes ces beautés, elle nous fait mépriser tous ces ouvrages de Dieu, si dignes de notre admiration ; et à cause que ces animaux sont petits par rapport à notre corps, elle nous les fait considérer comme petits absolument, et ensuite comme méprisables à cause de leur petitesse, comme si les corps pouvaient être petits en eux mêmes.

Tâchons donc de ne point suivre les impressions de nos sens dans le jugement que nous portons de la grandeur des corps ; et quand nous dirons, par exemple, qu’un oiseau est petit, ne l’entendons pas absolument, car rien n’est grand ni petit en soi. Un oiseau même est grand par rapport à une mouche ; et s’il est petit par rapport à notre corps, il ne s’ensuit pas qu’il le soit absolument, puisque notre corps n’est pas une règle absolue sur laquelle nous devions mesurer les autres. Il est lui-même très-petit par rapport à la terre ; et la terre par rapport au cercle que le soleil ou la terre même décrit à l’entour l’un de l’autre ; et ce cercle par rapport à l’espace contenu entre nous et les étoiles fixes ; et ainsi en continuant, car nous pouvons toujours imaginer des espaces plus grands et plus grands à l’infini.

III. Mais il ne faut pas nous imaginer que nos sens nous apprennent au juste le rapport que les autres corps ont avec le nôtre : car l’exactitude et la justesse ne sont point essentielles aux connaissances sensibles qui ne doivent servir qu’à la conservation de la vie. Il est vrai que nous connaissons assez exactement le rapport que les corps qui sont proches de nous ont avec le nôtre : mais à proportion que ces corps s’éloignent nous les connaissons moins parce qu’alors ils ont moins de rapport avec notre corps. L’idée ou le sentiment de grandeur que nous avons à la vue de quelque corps, diminue à proportion que ce corps est moins en état de nous nuire : et cette idée ou sentiment s’étend à mesure que ce corps s’approche de nous, ou plutôt à mesure que le rapport qu’il a avec notre corps s’augmente. Enfin si ce rapport cesse tout in fait, je veux dire,