Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/584

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cheveux, les ongles sont animés, etc. ; on distingue les mots de vivre et d’être animé, en vivre ou être animé d’une âme raisonnable, ou d’une âme sensitive ou d’une âme végétative. Mais cette distinction ne fait que confondre l’état de la question, car ces mots ont eux-mêmes besoin d’explication, et peut-être même que les deux derniers, âme végétative, âme sensitive sont inexplicables et incompréhensibles de la manière qu’on l’entend ordinairement.

Mais, si l’on veut attacher quelque idée claire et distincte au mot de vie, on peut dire que la vie de l’àme est la connaissance de la vérité et l’amour du bien, ou plutôt que sa pensée est sa vie, et que la vie du corps consiste dans la circulation du sang et dans le juste tempérament des humeurs, ou plutôt que la vie du corps est le mouvement de ses parties propre pour sa conservation. Et alors les idées attachées au mot de vie étant claires, il sera assez évident : 1° que l’âme ne petit communiquer sa vie au corps ; car elle ne peut le faire penser ; 2° qu’elle ne peut lui donner la vie par laquelle il se nourrit, il croît, etc., puisqu’elle ne sait pas même ce qu’il faut faire pour digérer ce que l’on mange ; 3° qu’elle ne peut le faire sentir, puisque la matière est incapable de sentiment, etc. On peut enfin résoudre sans peine toutes les autres questions que l’on peut faire sur ce sujet, pourvu que les termes qui les énoncent réveillent des idées claires ; et il est impossible de les résoudre, si les idées des termes qui les expriment sont confuses et obscures.

Cependant il n’est pas toujours absolument nécessaire d’avoir des idées qui représentent parfaitement les choses dont on veut examiner les rapports ; il suffit souvent d’en avoir une connaissance imparfaite ou commencée, parce que souvent l’on ne recherche point d’en connaître exactement les rapports. J’explique ceci.

Il y a des vérités ou des rapports de deux sortes : il y en a d’exactement connus et d’autres qu’on ne connaît qu’imparfaitement. On connait exactement le rapport entre un tel carré et un tel triangle, mais on ne connait qu’imparfaitement le rapport qui est entre Paris et Orléans ; on sait que le carré est égal au triangle, ou qu’il en est double, triple, etc., mais on sait seulement que Paris est plus grand qu’Orléans sans savoir au juste de combien.

De plus, entre les connaissances imparfaites. il y en a d’une infinité de degrés, et même toutes ces connaissances ne sont imparfaites que par rapport aux connaissances plus parfaites. Par exemple, on sait parfaitement que Paris est plus grand que la place Royale ; et cette connaissance n’est imparfaite que par rapport à une connaissance exacte, selon laquelle on saurait au juste de combien Paris est plus grand que cette place qu’il renferme.