Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/606

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manière d’être. Car enfin tout ce qui est se peut concevoir seul ou ne le peut pas ; il n’y a pas de milieu dans les propositions contradictoires, et l’on appelle être ou substance ce qui peut être conçu et par conséquent créé seul. La partie A peut donc exister sans la partie B, et à plus forte raison elle peut exister séparément de B. De sorte que ce lien est divisible en A et en B.

De plus, si ce lien était indivisible ou crochu par sa nature et par son essence, il arriverait tout le contraire de ce que nous voyons par l’expérience, car on ne pourrait rompre aucun corps. Supposons, comme auparavant, qu’on morceau de fer est composé d’une infinité de petits liens qui s’entrelacent les uns dans les autres, dont A, a, et B, b, en soient deux. Je dis qu’on ne pourrait les



décrocher, et par conséquent qu’on ne pourrait rompre ce fer ; car pour le rompre il faudrait plier les liens qui le composent, lesquels cependant sont supposés inflexibles par leur essence et par leur nature.

Que si on ne les suppose point inflexibles, mais seulement indivisibles par leur nature, la supposition ne servira de rien pour résoudre la question ; car alors la difficulté sera de savoir d’où vient que ces petits liens n’obéissent pas à l’effort que l’on fait pour ployer une barre de fer. Cependant, si l’on ne les suppose point inflexibles on ne doit pas les supposer indivisibles ; car si les parties de ces liens pouvaient changer de situation les unes à l’égard des autres, il est visible qu’elles se pourraient séparer, puisqu’il n’y a point de raison pourquoi si une partie peut un peu s’éloigner de l’autre elle ne le pourra pas tout à fait. Soit donc que l’on suppose ces petits liens inflexibles, soit qu’on les suppose indivisibles, on ne peut par ce moyen résoudre la question ; car si on ne les suppose qu'indivisibles, on doit rompre sans peine un morceau de fer ; et si on les suppose inflexibles, il sera impossible de le rompre ; puisque les petits liens qui composent le fer étant embarrassés les uns dans les autres, il sera impossible de les décrocher. Tâchons donc de résoudre la difficulté par des principes clairs et incontestables et de trouver la raison pourquoi ce petit lien à ces deux parties, A, B, si fort attachées l’une à l’autre.

Je vois bien qu’il est nécessaire que je divise le sujet de ma méditation par parties, aiin que je l’examine plus exactement et avec